Mère Teresa
Ewa comtesse Potocka née princesse Sułkowski
(1814 – 1881)
fondatrice de la Congrégation
Elle naquit le 22 octobre 1814 à Varsovie comme troisième des cinq enfants du prince Antoni Paweł Sułkowski et d‘Ewa née Kicka. Elle reçut le prénom d’Ewa lors de son Baptême. Après la mort de sa mère au château de Rydzyna, c’est son père qui veilla à l’éducation et la formation de ses enfants dans l’esprit des valeurs chrétiennes et patriotiques. Ewa épousa en 1838 le comte Władysław Potocki de Chrząstów près de Częstochowa. Après sa mort, sans que le couple ait eu des enfants, elle forma le projet de se consacrer entièrement à Dieu et de fonder une œuvre de miséricorde. Sur le conseil de son directeur spirituel, père Zygmunt Golian, elle partit à Laval en France en compagnie de deux amies afin de prendre connaissance, sous la direction de Mère Thérèse Rondeau, des méthodes de travail avec les jeunes filles et femmes moralement déchues. Après un noviciat abrégé, lors de la cérémonie de prise d’habit, elle prit le nom en religion de Teresa. Elle apportait de Laval l’expérience et les règles permettant aux sœurs de suivre le même style de vie et de mener le travail apostolique dans un institut nouveau, toutefois indépendant. À son retour en Pologne, elle accepta l’invitation de l’archevêque Zygmunt Szczęsny Feliński pour diriger la « Maison de refuge » dans la rue Żytnia à Varsovie, consacrée le 1er novembre 1862. Cette date est considérée comme début de l’activité de la Congrégation des Sœurs de Notre Dame de la Miséricorde en Pologne. En 1868, Mère Potocka ouvrit une maison à Cracovie et en 1878, elle accepta la proposition de la Congrégation de Laval de fusionner les deux familles religieuses afin d’obtenir l’entérinement de la part du Siège Apostolique. Ayant obtenu le décret de louange du Saint Siège, Mère Teresa Potocka dirige les maisons polonaises en qualité de vicaire générale de Laval. Elle décède après une longue maladie le 6 juillet 1881 à Wilanów et repose dans le tombeau de la Congrégation au cimetière de Powązki à Varsovie.
1. Famille des princes Sułkowski
Mère Teresa Potocka vient au monde dans la famille des princes Sułkowski. Son père, Antoni Paweł prince Sułkowski (1785- 1836), fils d’Antoni et de Karolina, comtesse tchèque de la famille Bubna-Littitz, acquit une belle éducation à l’Ecole des chevaliers de Varsovie et à l’université de Göttingen en Allemagne. Ayant terminé ses études, il rentra en Pologne pour administrer les biens de la famille. À l’âge de 22 ans, il épousa Ewa Karolina Kicka (1786-1824).
Ewa Karolina Kicka grandit au château royal de Varsovie où son père Onufry Kicki sert fidèlement en qualité de chambellan du dernier roi de Pologne, Stanislas Auguste II Poniatowski, puis de son neveu, prince Józef Poniatowski. Ewa Karolina se distingue par sa bonté de cœur, gentillesse, délicatesse, tact et sérénité.
Le mariage d’Antoni Paweł Sułkowski et d’Ewa Karolina Kicka eut lieu le 14 janvier 1808 à l’église Sainte-Croix de Varsovie. Quelques mois plus tard, le prince Antoni Paweł intégra l’armée. Comme beaucoup de Polonais, il lutta de 1808 à 1815 aux côtés de Napoléon, espérant recouvrer l’indépendance de la nation polonaise, au début comme colonel d’infanterie du Duché de Varsovie, puis général de brigade et adjudant d’Alexandre Ier, souverain du Royaume de Congrès. Par conséquent, il était éloigné de sa famille pendant une dizaine d’années. En son absence, son épouse Ewa demeura chez ses parents au palais Branicki à Varsovie. C’est là que vinrent au monde les quatre filles d’Antoni Paweł et d’Ewa Karolina : Taida Karolina en 1811, Helena Karolina un an plus tard. La troisième enfant bien-aimée d’Antoni Paweł (la future Mère Teresa Potocka) vient au monde le 22 octobre 1814. La petite fille est baptisée dès le troisième jour à l’église Sainte-Croix de Varsovie et reçoit les prénoms de sa mère : Ewa Karolina. La quatrième fille, Teresa Karolina, naît en 1815. En 1818, le général Antoni Paweł rejoint définitivement sa famille et s’établit au château de Rydzyna où en 1820 vient au monde August (Gustlik), l’unique fils d’Ewa Karolina et Antoni Paweł.
2. Enfance et jeunesse
Antoni Paweł et Ewa Karolina aimaient sincèrement leurs enfants. Ils les élevèrent dans une atmosphère de respect mutuel et d’harmonie familiale. La petite Ewa était la favorite de son père. Antoni Paweł écrivait dans une lettre à sa femme bien-aimée : La petite Ewa a une âme comme la tienne, ainsi occupe-t-elle une place singulière dans mon cœur. Il aimait à passer le temps en compagnie de sa petite Princesse. Il lui confia même certaines affaires parce qu’il la croyait plus mûre que ses sœurs et son frère, et il nourrissait pour elle de grands espoirs, ce dont il parlait ainsi dans une lettre à sa femme : Elle sera notre consolation. Ewa ressemblait à son père à plusieurs égards, mais en particulier, elle avait sa fermeté, énergie et sa grande détermination. Toutes ces qualités naturelles avec l’immensité de la grâce divine l’aidèrent plus tard à accepter et remplir les plans de Dieu avec courage et fidélité.
Ewa n’avait que 10 ans quand sa mère mourut en 1824. C’était pour elle une épreuve bien difficile. Le prince Antoni Paweł a également beaucoup souffert à cause du décès de sa femme bien-aimée et il plongea pour longtemps dans la tristesse. Il ne s’est jamais remarié, consacrant le reste de ses jours au travail et à l’éducation de ses enfants. Il tâchait de leur être père et mère à la fois. La sœur de sa femme défunte, Teresa Kicka, lui était d’un grand secours. Le père d’Ewa veillait à développer la culture générale de ses enfants et en particulier à approfondir leur piété ainsi que leurs qualités morales et intellectuelles. Il les emmena souvent à Dresde aux fins d’éducation et de recréation. Il tâcha de leur assurer tout ce qu’il y avait de meilleur. C’est à son père bien-aimé qu’Ewa devait son excellente éducation.
À l’âge de 17 (en 1831), Ewa vécut la mort de sa grand-mère paternelle, Karolina baronne Littitz, née comtesse Bubna. Quelques années plus tard, le 13 avril 1836, son père bien-aimé mourut subitement à 51 ans, assis sur une chaise en train de chanter l’hymne national polonais : La Pologne n’a pas encore péri tant que nous vivons… En 1839, elle perdit l’aînée de ses sœurs : Taida.
3. Mariage
Âgée de 24 ans, Ewa part de Rydzyna à Dresde où a vécu sa grand-mère Karolina. C’est là qu’elle épouse le comte Władysław Potocki, son cadet d’un an. Leur mariage a lieu le 19 mars 1838 à l’église Saint-Michel de Dresde. Les amis présentent leurs vœux à Ewa : Que notre bonne et idéale Ewa soit aussi heureuse qu’elle le mérite, parce qu’elle est dotée dans la même mesure du bon sens et de la sagesse, elle a un bon cœur et elle est prête aux plus grands sacrifices.
Le jeune couple s’installe d’abord au château des Potocki à Chrząstów. Puis, désireux de s’éloigner « du monde », il déménage pour une petite propriété de Władysław à Piotrkowice Małe près de Cracovie. C’est une résidence belle mais simple avec une chapelle dans laquelle un prêtre célèbre parfois la messe. Ewa et Władysław maintiennent des contacts étroits avec Paulina Wielopolska, sœur de Władysław et avec son époux, le marquis Aleksander Wielopolski de Varsovie. Un lien spirituel existe depuis longtemps entre Ewa et Paulina, qui consiste en leur aspiration commune à vivre dans la plus grande intimité avec Dieu et pour Dieu. Les deux intègrent le Tiers Ordre de saint Dominique. En tant que tertiaire, Ewa prend le nom de Madeleine de Pazzi et Paulina, celui de sœur Marie Madeleine.
La vie conjugale d’Ewa et Władysław dura 17 ans, sans postérité et marquée d’une grande souffrance. Tuberculeux, Władysław partait fréquemment faire une cure alors qu’Ewa restait seule à la maison. Ils firent un séjour à Cracovie, rue Bracka, pour des raisons de traitement. C’est alors qu’après la mort du père Karol Antoniewicz SJ, leur confesseur et directeur spirituel, ils firent la connaissance de l’abbé Zygmunt Golian (1824-1885), un prêtre très pieux, confesseur et prédicateur célèbre, dont le soutien spirituel et le conseil leur fut bien utile pendant la maladie de Władysław, qui s’aggravait. Grâce à la direction de l’abbé Golian, Ewa comprit que sa situation ne représentait pas un malheur aussi grand qu’elle l’avait cru au début. C’est la raison pour laquelle elle sut accepter avec une foi et un calme surprenants la mort de son mari qui décéda à 41 ans à Cracovie le 14 novembre 1855. Il repose dans la propriété de famille de Chrząstów.
4. Vocation
Après la mort de son époux, Ewa quitta Cracovie pour Chrząstów où elle habita avec sa sœur Helena et la famille de celle-ci. C’était une époque où elle s’efforça de développer une vie spirituelle intense. Elle passa beaucoup de temps chaque jour à prier, méditer, faire l’examen de conscience et à lire des ouvrages d’ascèse. Elle fit souvent des retraites spirituelles. L’abbé Golian dirigeait sa vie intérieure : ils échangeaient une correspon- dance régulière et se rencontraient parfois.
Au fil et à mesure que s’approfondissait sa vie de prière et qu’augmentait son désir de la solitude, il lui devint difficile de concilier les obligations de famille et la vie mondaine avec les exigences de sa vie spirituelle. Son désir était de s’abandonner entièrement à Dieu et de Le servir conformément à Sa volonté. Ewa lut à l’époque la biographie de Marie Thérèse de Lamourous (1754-1836), la fondatrice de la Maison de la Miséricorde pour jeunes filles et femmes nécessitant un renouveau moral (prostituées) à Bordeaux. Très impressionnée par cette lecture, elle forma le projet de suivre les traces de Thérèse de Lamourous et d’entreprendre la même œuvre sur le territoire polonais. Avec l’assistance du père Golian et sous sa direction, elle cherchait à reconnaître la volonté de Dieu. L’abbé Golian lui écrivait : Prie Dieu qu’Il nous révèle par Sa grâce ce qu’il faut faire, qu’Il révèle où c’est qu’Il t’appelle : est-ce plutôt une maison pour pénitentes ou celle d’éducation catholique pour jeunes filles pauvres ? Pour ma part, j’opterais pour cette première…, mais je veux que tu reconnaisses toi-même aux pieds de Jésus Christ ce qui servira mieux la plus grande gloire de Dieu et sera conforme à ta vocation…
Elle découvre que Dieu l’appelle à venir au secours des jeunes filles et femmes qui se prostituent, cependant elle n’est toujours pas certaine comment réaliser cette vocation. Elle peut choisir entre un séjour à Laval, où la vie religieuse et la Maison de la Miséricorde sont dirigées par Mère Thérèse Rondeau (1793-1866), ou un départ pour Lwów afin d’étudier les méthodes de travail de la Congrégation des Sœurs de la Divine Providence dont l’apostolat a pour modèle la Maison de la Miséricorde de Laval.
En automne 1861, Ewa décide d’aller à Laval malgré l’opposition de sa famille. Le père Golian lui a conseillé de s’y rendre avec deux de ses pénitentes à lui : Tekla Kłobukowska, une veuve de 51 ans et Antonina, sa fille de 22 ans. Il a écrit personnellement à Thérèse Rondeau, lui demandant d’accueillir Ewa et ses deux compagnes pour une période de formation. Suite à la réponse positive de Laval, Ewa écrit aussi à la Mère Rondeau pour préciser les conditions de son séjour à la Maison de la Miséricorde. Elle sollicite dans sa lettre de pouvoir faire la formation à Laval comme future fondatrice d’une maison semblable en Pologne, à laquelle elle a l’intention de destiner une partie de son patrimoine.
Âgée alors de 47 ans, Ewa Potocka avec Tekla et Antonina Kłobukowska arrivent le 10 novembre 1861 à la Maison de la Miséricorde de Laval où la Mère Rondeau s’occupera personnellement de leur formation. Les Polonaises acquièrent ainsi l’esprit de la vie religieuse, les méthodes de travail apostolique, les usages et les règles de la Maison de la Miséricorde. Chacune d’elle fait une copie du premier projet (incomplet) de Constitutions de 1858 ; elles rapportent ces copies en Pologne.
Après huit mois, le 10 juillet 1862 , elles prennent l’habit et les noms en religion : Ewa en tant que future fondatrice, celui de Mère Maria Magdalena Teresa ; Tekla, de sœur Maria Monika Kunegunda, et Antonina, de sœur Marie Rose de Lima. La cérémonie est un instant joyeux et mémorable pour la communauté de Laval. Un prêtre français présent à la cérémonie note dans son compte-rendu : À voir la Princesse, sœur Marie Madeleine Thérèse, arborant pour la dernière fois ses beaux vêtements coûteux, qui s’est majestueusement approchée de notre bonne Mère et agenouillée à ses pieds afin de lui demander humblement une tenue de pauvreté, un océan de larmes s’est déversé. C’était une journée céleste pour toute l’œuvre de la miséricorde. La prise d’habit des trois Polonaises et les vœux privés de la sœur Rose n’étaient pas valides à la lumière du droit parce qu’elles n’avaient pas fait le noviciat annuel canonique à Laval, mais ils symbolisaient leur sacrifice au service de Dieu et exprimaient leur désir de fonder un couvent en Pologne.
Le 16 juillet 1862, Mère Teresa Potocka et ses deux compagnes regagnèrent Cracovie. Chemin faisant, elle fit une halte à Nancy, puis à Strasbourg et à Vienne où elle rencontra Monseigneur Capri pour discuter de la fondation de la congrégation en Pologne. Ayant atteint Cracovie le 26 juillet, elles descendirent provisoirement chez les sœurs dominicaines de Gródek.
5. Fondation des Maisons
de la Miséricorde à Varsovie et à Cracovie
Mère Teresa se rend compte aussitôt des difficultés que représentera la mise en place d’une Maison de la Miséricorde à Cracovie, les autorités autrichiennes s’opposant à toute fondation de nouvelles congrégations. Elle accepte en l’occurrence la proposition que lui fait une association de dames de Varsovie avec en tête la comtesse Aleksandra Potocka, qui dirige «la « Maison de refuge sous la protection de la Très Sainte Vierge Marie », ainsi que l’invitation de l’archevêque Zygmunt Feliński (1822-1895) : elle fondera une Maison de la Miséricorde à Varsovie. Le 14 octobre 1862, Mère Teresa et ses deux compagnes quittent Cracovie. Elles passent la nuit à Częstochowa où elles prient devant l’icône miraculeuse de la Vierge de Jasna Góra en Lui confiant leur œuvre future. Elles arrivent à Varsovie le soir du 17 octobre et descendent au Palais de Wilanów où elles demeurent jusqu’à l’achèvement des travaux de rénovation de la propriété de la rue Żytnia. L’abbé Golian, nommé professeur à l’Académie Religieuse, déménage également pour Varsovie.
Mère Teresa choisit la fête de la Toussaint, le 1er novembre 1862, pour inaugurer la Maison de la Miséricorde de la rue Żytnia à Varsovie. Ce jour-là, l’archevêque Zygmunt Feliński célébra dans la modeste chapelle des sœurs la première sainte messe pendant laquelle il ordonna prêtre un des séminaristes. Cette date est reconnue comme celle de la fondation de la Congrégation des Sœurs de Notre Dame de la Miséricorde en Pologne.
À son ouverture, la Maison de la Miséricorde de Varsovie comptait 12 jeunes filles confiées à Mère Thérèse par la « Maison de refuge sous la protection de la Très Sainte Vierge Marie » administrée auparavant par les sœurs féliciennes et de la Famille de Marie qui manquaient d’expérience pour mener cette œuvre. Mère Teresa se mit à tout organiser en se fondant sur les Constitutions, usages et méthodes de travail de la Maison de la Miséricorde française. Elle adopta aussi pour la congrégation née sur le territoire polonais l’appellation lavalloise : Congrégation des Sœurs de Notre Dame de la Miséricorde.
La Maison de la Miséricorde constituait un abri pour les jeunes filles et femmes de mauvaise réputation, mais désireuses elles-mêmes d’améliorer leur vie. La tâche principale des sœurs était de leur faire découvrir la richesse de la miséricorde divine et de les aider à recouvrer leur propre dignité perdue dans le péché. Le programme d’éducation était basé sur un agencement harmonieux de la prière et du travail, ce dernier permettant non seulement d’entretenir la maison, mais aussi d’assurer aux pupilles une formation professionnelle concrète. Elles apprenaient à vaquer aux simples tâches domestiques, à coudre et à broder, se préparant ainsi à une vie digne au sein de la société.
L’activité de la Maison de la Miséricorde de Varsovie commença sous la protection pleine de sollicitude de l’archevêque Feliński qui veillait à ce que soient satisfaits ses besoins matériels et spirituels, que la communauté puisse assister quotidiennement à la sainte messe et à ces fins, il y envoya chaque jour un prêtre de l’Académie Religieuse. Il délégua l’abbé Zygmunt Golian comme confesseur permanent à la Maison de la Miséricorde.
Deux mois après la fondation de la Maison de la Miséricorde, l’insurrection de janvier éclate à Varsovie dans la nuit du 22 janvier 1863. Mère Potocka et la Maison de la Miséricorde traverseront une période très dure. L’archevêque Feliński est arrêté en juin 1863 et condamné à 20 ans d’exil aux fins fonds de la Russie. En raison d’une vague de cassations de congrégation religieuses, Mère Potocka et les sœurs doivent faire preuve de grande prudence pour sauvegarder la vie religieuse et l’œuvre apostolique. Mère Teresa sera bientôt amenée à faire face aux problèmes financiers, certains bienfaiteurs l’ayant déçue pour ce qui est de soutenir son œuvre. À certains moments, elle ne peut compter que sur le revenu de ses biens privés ou sur l’aumône. Malgré ces difficultés, non seulement la Maison de la Miséricorde survécut, mais en plus, elle se développa. Le nombre de pupilles croissait dans la même mesure que celui de sœurs prêtes à entreprendre cette œuvre.
Au fil que s’aggravaient les répressions envers les congrégations religieuses, les autorités tsaristes limitèrent le nombre de pénitentes à admettre ainsi que de personnes qui travaillaient avec elles, l’abbé Golian dut quitter Varsovie après la suppression de l’Académie Religieuse et Mère Teresa se mit à considérer l’éventualité de fonder une Maison de la Miséricorde à Cracovie, puisque les conditions qui régnaient sur le territoire annexé par l’Autriche étaient beaucoup plus favorables.
À l’issue de nombreuses démarches, la Mère Potocka inaugura la Maison de la Miséricorde à Cracovie le 8 mai 1868. Elle loua un petit bâtiment voisin de l’église de la Miséricorde Divine de la rue Smoleńsk. Sœur Kunegunda Kłobukowska fut nommée la première supérieure. Mère Potocka obtint aussi l’appui spirituel des pères jésuites qui célébraient chaque jour la messe, confessaient, donnaient des conférences et dirigeaient les retraites pour les sœurs et les pénitentes. À partit du mois d’août 1868, l’abbé Golian, qui s’était entre-temps établi à Cracovie, vint remplir le service pastoral à la Maison de la Miséricorde.
La Maison de la Miséricorde à Cracovie prit un tel essor que dès le 26 juillet 1871, elle fut transférée dans un immeuble plus vaste au coin des rues Straszewskiego et Zwierzyniecka, sponsorisé par Madame Helcel, veuve d’un professeur de l’Université Jagellone. Au fil des années cependant, cette maison aussi se montra trop étriquée pour le nombre toujours croissant de pupilles et de sœurs. La situation de l’immeuble dans les marais de la Vistule était loin de pouvoir pallier la fièvre typhoïde et la tuberculose qui ravageaient les sœurs et les pupilles. En plus de cela, Madame Helcel, qui avait initialement promis de transférer le titre de propriété à la Congrégation, retira sa promesse et exigea un remboursement. Les sœurs s’adressèrent donc à saint Joseph pour solliciter son secours qui s’est réalisé en 1888, lorsque l’archevêque Albin Dunajewski transmit à la Congrégation la donation du prince Aleksander Lubomirski, permettant d’acquérir un terrain dédié à la Maison de la Miséricorde dans le village de Łagiewniki près de Cracovie. Les sœurs emménagèrent dans cette nouvelle maison appelée Józefów en août 1891, après le décès de la Mère Potocka.
6. Vicaire de la province de Pologne
Les deux Maisons de la Miséricorde (Varsovie et Cracovie) fonctionnaient déjà avec un nombre toujours croissant de sœurs et pénitentes lorsque la Mère Potocka reçut de Laval la proposition de fusionner les communautés polonaise et française. La proposition émanait de la supérieure générale de la communauté de Laval, Mère Thérèse de Jésus Manceau qui avait succédé à la Mère Rondeau et entrepris de solliciter l’approbation du Siège Apostolique pour la Congrégation. Mère Potocka accepta la proposition dans l’intérêt de la Congrégation entière bien que cela signifiât la perte de l’autonomie de la Congrégation polonaise et la mise en place d’un vicariat subordonné à la supérieure générale à Laval. Mère Potocka devenait alors vicaire de la province de Pologne de la Congrégation de Laval.
La fusion des communautés polonaise et française se fit en 1878. L’événement était fondamental pour la structure d’organisation de la Congrégation. Les nouvelles Constitutions, entérinées par le Siège Apostolique, visaient à conserver dans la même mesure le premier esprit de la Congrégation au sein des communautés française et polonaise. En sa qualité de vicaire générale, Mère Teresa se mit à suivre les instructions de Laval pour réorganiser les deux Maisons de la Miséricorde : d’abord celle de Varsovie, puis de Cracovie. En été 1879 fut érigé officiellement le noviciat à Varsovie selon le modèle de Laval. Mère Teresa s’était occupée elle-même de la formation des novices jusqu’au moment de la fusion. Cette mission était confiée désormais à sœur Bernarda Tomicka qui, avant d’occuper la fonction de maîtresse du noviciat, avait fait un séjour de huit mois à Laval afin de se préparer à cette tâche. Plus tard, envoyer d’autres sœurs aussi à Laval en vue de formation religieuse deviendra une coutume.
Libérée du travail afférent aux formations, Mère Teresa put se consacrer plus librement aux obligations de vicaire générale et de supérieure de la maison de Varsovie. Elle présida systématiquement les chapitres de la communauté, donna des conférences destinées aux sœurs professes, prit le temps d’entretiens individuels avec les sœurs, etc. Comme elle le disait elle-même, son plus grand bonheur était de ramener à Dieu les âmes égarées. Elle écrivit : Si je n’avais sauvé qu’une seule âme de par mes efforts, si une seule âme avait été arrachée pour Dieu, je serais déjà récompensée généreusement. Est-ce peu de chose que de sauver une âme ? Cette pensée me stimule au travail, me donne du courage et de la résolution malgré les plus grandes contrariétés. Ce grand zèle pour le salut des âmes lui permit d’accueillir avec joie et gratitude toutes les contrariétés de la vie quotidienne. Elle avouait elle-même : Tout cela me rend heureuse au point de ne plus sentir la croix et j’en rends grâce à Dieu.
Elle s’efforce d’inculquer le même esprit d’amour maternel et de sollicitude fervente pour les âmes à ses filles spirituelles, membres de la Congrégation qu’elle a fondée. Elle exige d’elles un reniement entier de soi pour accueillir avec amour les pénitentes que Dieu confie à leur protection. C’est ce genre de disposition qu’elle tâche de créer chez les jeunes sœurs en période de formation religieuse. L’absence de cet esprit était un motif suffisant pour écarter une sœur de la congrégation. Mère Teresa lui disait : Ma chère, si tu désires demeurer membre de cette Congrégation, tu dois aimer ces âmes misérables. Tu ne devrais pas en avoir peur ou honte. Si tu n’es pas d’accord avec moi, prends tes affaires et va-t’en.
Mère Teresa cherchera toujours à soutenir les sœurs sur la voie de la vocation et du travail difficile à la Maison de la Miséricorde. Elle leur apprendra à solliciter d’abord leur propre sainteté, l’union avec Dieu, et à se sacrifier pour le salut des âmes. Elle leur expliquait : Mes sœurs, nos enfants chemineront dans le bien et aimeront la vertu dans la mesure où nous leur donnerons l’exemple de notre mortification, patience et douceur. Si nous sommes fidèles et obéissantes à Dieu, elles aussi rempliront fidèlement leurs devoirs. Elle sensibilisait les sœurs au fait que leur amour de Dieu et des âmes était plus important que leurs talents innés. Ne t’en fais pas, chère sœur, disait-elle, de ne pas avoir de talents naturels. Tâche d’être une véritable bien-aimée du Christ – mais ce non seulement en apparence, par l’habit que tu portes ou par ton nom en religion. Sois une bien-aimée du Christ dans l’esprit, par ta vie vertueuse et ton amour des âmes, même au prix des plus grands sacrifices.
Mère Teresa puisait sa force dans la prière. Les instants d’action de grâce après la sainte Communion lui étaient les plus précieuses au cours de la journée. Jésus Eucharistie lui apprit l’amour maternel qui s’oublie lui-même afin de servir les autres. L’action de grâce devint sa prière préférée. Elle prit l’habitude de remercier Dieu de tout, tant des joies que des tristesses. Elle encourageait les sœurs à suivre son exemple et remercier Dieu particulièrement aux moments d’épreuves et d’expériences difficiles. Elle avouait : Mon enfant, beaucoup de choses m’ont paru difficiles au début de ma vie religieuse, parce que j’étais habituée au confort. Tout me paraît doux et simple maintenant et je suis heureuse, et s’il en est ainsi, c’est parce que j’ai tâché de remercier Dieu pour tout. Fais de même, chère sœur, et tout te deviendra doux et simple. Afin d’inculquer aux sœurs et aux « enfants » l’esprit de gratitude envers Dieu, Mère Teresa mit en place une « semaine d’action de grâce » pratiquée annuellement par chaque sœur et chaque pupille, ainsi que de fréquentes récitations communes du « Chapelet d’action de grâce », « Magnificat » ou « Te Deum ».
7. Décès à Wilanów
Ce mode de vie éreintant et le lourd travail aggravèrent l’état de santé de Mère Teresa. Elle souffrait de plusieurs maladies, surtout d’asthme et d’insuffisance cardiaque, mais elle acceptait cette croix avec cette obéissance et reconnaissance à Dieu qui lui étaient propres.
Invitée par Aleksandra Potocka, elle partit le 29 juin 1881 au palais de Wilanów pour s’y reposer et reprendre des forces. Avant le départ, elle fit ses adieux à tous les habitants de la maison, comme si elle pressentait qu’elle ne les verrait plus. Le troisième jour de son repos à Wilanów, elle se sentit très mal. On fit venir un médecin qui constata un danger imminent de mort. Toutes les sœurs de Varsovie s’inquiétèrent. Lorsque sœur Aniela Popławska, son assistante, se mit à pleurer à la voir dans un était si grave, la Mère réagit avec le plus grand calme : Pourquoi vous désolez-vous, ma sœur ? Que la volonté de Dieu se fasse. Je suis prête à tout. Mais la crise passa et Mère Teresa se sentit mieux. Elle put même sortir sur le balcon et recevoir les sœurs venues en visite. Le mercredi matin 6 juillet 1881, elle se confessa et prit la communion. Elle était ce jour-là très joyeuse et conviviale. Aidée par sœur Rafała, elle descendit déjeuner dans la salle à manger. Une fois installée à table, elle sentit une brusque douleur du thorax. Tout secours fut vain : elle décéda à 12 h 30, appelant par deux fois l’aide de Marie. Son corps fut aussitôt transféré dans l’église Sainte-Anne près du château de Wilanów, ensuite dans la chapelle de la Congrégation dans la rue Żytnia à Varsovie, où les sœurs et les pupilles veillèrent auprès d’elle jusqu’au jour des obsèques qui eurent lieu le samedi 9 juillet. De nombreux prêtres, sœurs et pupilles, fonctionnaires d’Etat et membres de sa famille formèrent le cortège funèbre au cimetière de Powązki Varsovie.
Mère Teresa Potocka vécut 67 ans, dont 20 années dans la Congrégation qu’elle avait fondée. Au moment de sa mort, 13 sœurs vivaient dans la maison de Varsovie, 10 dans celle de Cracovie et près de 120 pénitentes dans les deux maisons.
L’abbé Golian prononça l’éloge funèbre : Ne l’appelons pas sainte, car seule l’Eglise est en droit d’octroyer ce titre. Cependant, que nos efforts dans le travail pour lequel elle était prête à sacrifier sa vie témoignent de sa sainteté. Combien de fois elle m’a dit que s’étant entièrement consacrée à cette œuvre, elle avait fini par comprendre ce qu’était le bonheur ! Combien de fois elle a exprimé sa reconnaissance à Dieu pour lui avoir accordé la grâce de la vocation religieuse, pour lui avoir permis de Le servir sans cette Congrégation et pas dans une autre ! Bien que nos cœurs saignent de douleur, car elle n’est plus sur Terre, c’est en suivant son exemple, lisant ses lettres, remerciant Dieu des grâces qu’Il nous a transmises par elle, ainsi qu’à la Congrégation, que nous devons puiser la force et le courage de continuer notre vocation avec une confiance profonde.
s. M. Saula Firer ISMM
s. M. Elżbieta Siepak ISMM
Traduction : Beata Hrehorowicz