Elle est « un don de Dieu pour notre temps », une grande mystique et une maîtresse de la vie spirituelle. C’est un vrai prophète qui nous rappelle la vérité biblique de l’amour miséricordieux de Dieu pour chaque homme. Elle nous presse d’aller proclamer cette vérité à l’humanité entière par le témoignage de notre vie, en actes, en paroles et par la prière.
Apôtre de la Miséricorde Divine, Secrétaire de Jésus Miséricordieux, Prophète pour notre temps, grande Mystique, Maîtresse de vie spirituelle, tels sont les titres qui accompagnent le plus souvent le nom de Sainte Soeur Faustine Kowalska, une religieuse de la Con- grégation de Notre-Dame de la Miséricorde. Elle compte parmi les saints les plus connus et aimés et parmi les plus grands mystiques dans l’histoire de l’Eglise.
Née le 25 août 1905 dans le petit village de Głogowiec en Pologne centrale, elle était la troisième des dix enfants de Stanislas et Marianna Kowalski. Baptisée deux jours plus tard, le 27 août dans l’église paroissiale de Świnice Warckie, elle reçut le prénom d’Helena (Hélène). A l’âge de 9 ans, elle fit sa première Communion. Sa scolarité fut par trop brève – seulement trois classes d’école primaire. Adolescente, elle devint servante auprès d’une famille aisée, d’abord à Aleksandrów Łódzki et ensuite dans la grande ville de Łódź. Hélène sentait très tôt la grâce de la vocation, notamment dès l’âge de 7 ans. Cependant ses parents s’op- posèrent dans le temps à ce qu’elle entrât au couvent. Pressée par la vision du Christ souffrant, Hélène partit enfin pour Varsovie, au mois de juillet 1924 pour y chercher un couvent. Cependant elle dut travailler encore un an comme fille au pair afin de gagner sa modeste dot. Le 1 août 1925, elle franchit définitivement le seuil de la Congrégation des Soeurs de Notre-Dame de la Miséricorde à Varsovie, rue Żytnia.
Soeur Faustine vécut 13 ans dans la Congrégation, en travaillant dans différents monastères : à Cracovie, où son séjour fut le plus long, ensuite à Varsovie, à Płock et à Wilno (Vilnus), en y exerçant tour à tour les tâches de cuisinière, vendeuse de pain, jardinière et de soeur portière. Atteinte de la tuberculose des poumons et des intestins, Soeur Faustine dut, à plusieurs reprises, faire des cures (plus de 8 mois en tout) dans les hôpitaux-sanatoriums à Cracovie-Prądnik. A dire vrai, bien plus que par la tuberculose, elle souffrait comme victime d’expiation volontaire pour les pécheurs, en tant qu’apôtre de la divine Miséricorde. Elle fut une grande mystique et reçut de Dieu des grâces extraordinaires de révélations, extases, bilocation, stigmates cachés, lecture dans les âmes, fiançailles et noces mystiques.
La mission principale de Soeur Faustine consiste à transmettre à l’Eglise et au monde entier le message de la Miséricorde qui est un rappel d’une vérité biblique de l’Amour miséricordieux de Dieu pour chaque homme et une invitation à mettre entièrement confiance en Lui et à être miséricordieux pour les autres. Jésus lui fit connaître non seulement la profondeur de sa miséricorde, mais Il lui transmit des pratiques nouvelles de la Dévotion à la Miséricorde : le tableau signé Jésus j’ai confiance en Toi !, la Fête de la Miséricorde, le Chapelet à la Miséricorde divine, la prière à l’heure de la mort du Christ en croix, dite l’Heure de la Miséricorde. Chacune de ces pratiques de la Dévotion est accompagnée de grandes promesses de Dieu, tout comme le fait de proclamer le message de la Miséricorde ; ceci à condition de mettre confiance en Lui, faire Sa Volonté et témoigner de la miséricorde envers le prochain.
Soeur Faustine est morte à l’âge de 33 ans seulement, le 5 octobre 1938, dans le monastère de Cracovie-Łagiewniki, en Pologne. De son charisme et de son expérience mystique est né un Mouvement Apostolique de la divine Miséricorde qui poursuit sa mission, proclame au monde le message de la Miséricorde, et en est témoin par la vie riche en miséricorde, en oeuvres, en paroles et par la prière.
Le Saint Père Jean Paul II a élevé Soeur Faustine à la gloire des autels en la béatifiant à Rome, le 18 avril 1993. Il l’a également inscrite au cortège de tous les saints de l’Eglise, le 30 avril 2000. Les reliques de sainte Soeur Faustine se trouvent au Sanctuaire de la Miséricorde Divine à Cracovie-Łagiewniki en Pologne. Le Saint Père Jean-Paul II a dit qu’au siècle des grands totalitarismes, Sœur Faustine devint la porte-parole d’un message, en vertu duquel l’unique contrepoids possible au mal dont lesdits totalitarismes étaient porteurs, était la vérité de la miséricorde de Dieu. Il appela le Petit Journal de Soeur Faustine « un évangile créé dans l’optique du XXe siècle », qui a permis aux hommes de traverser l’épreuve extrêmement douloureuse de cette époque. Ce message, dit son sucesseur, le Saint Père Benoît XVI, est réellement le message majeur de notre époque : la miséricorde en tant que puissance de Dieu et limite que Dieu oppose au mal du monde entier.
1. Une enfant bénie
Après leur mariage, Stanisław Kowalski et sa femme Marianna, achetèrent quelques acres de terre dans le village de Głogowiec, loin de la route principale et de la ville. Ils y bâtirent une modeste maison sans étage avec des bâtiments de ferme à côté. Tous leurs enfants furent baptisés dans l’église paroissiale de Świnice Warckie, dédiée à Saint Casimir. Ils y assistaient à la sainte Messe le dimanche et les jours de fête, et ils y firent leur première Communion. Le 27 août 1905 le curé de la paroisse, l’abbé Józef Chodyński, nota dans les Registres Paroissiaux ce qui suit : Głogowiec. Ce fait est advenu à Świnice, le 27 août 1905 à une heure de l’après-midi. Ont comparu Stanisław Kowalski, agriculteur de Głogowiec, âgé de 40 ans, Franciszek Bednarek, 35 ans, et Józef Stasiak, âgé de 40 ans, tous les deux agriculteurs de Głogowiec, et ils nous ont présenté un enfant de sexe féminin, né dans le village de Głogowiec le 25 août 1905 à huit heures du matin dont avait accouché son épouse Marianna née Babel, âgée de 30 ans. Cette enfant reçut le prénom de Helena au saint baptême qui a eu lieu au jour d’aujourd’hui, son parrain étant Konstanty Bednarek et sa marraine étant Marianna Szewczyk [Szczepaniak].
Chez les Kowalski, la vie s’écoulait paisiblement au rythme de la prière et du travail. De la prière d’abord, car Dieu occupait la première place, non seulement le dimanche ou à l’occasion de cérémonies familiales, mais chaque jour. Dès l’aube, le père chantait les Petites Heures de l’Immaculée Conception ou d’autres chants religieux. Lorsque sa femme le grondait de réveiller les enfants avec ses chants, il lui répondait : C’est dès leur tendre enfance qu’ils doivent apprendre que le Seigneur Dieu est le plus important ! Des tableaux religieux ornaient les murs de leur maison. Dans chaque pièce, un petit autel occupait la place centrale, avec une petite représentation en métal de la Passion du Christ, achetée par Stanislas à Częstochowa, et deux figurines en faïence, une du Sacré Coeur de Jésus et l’autre du Cœur Immaculé de Marie. Le soir, toute la famille s’agenouillait pour prier ensemble. Au mois de mai, ils chantaient les Litanies de Notre-Dame de Lorette devant un petit oratoire instauré près de la maison ; au mois d’octobre, ils récitaient le Rosaire. Le dimanche après-midi, Stanislas Kowalski prenait les Vies des Saints de la petite bibliothèque de la maison et en faisait la lecture à tous.
Pour entretenir sa nombreuse famille, le père, en plus de son travail de fermier, gagnait un peu d’argent dans son atelier de charpentier. Il était exigeant envers lui-même et envers ses enfants, sans indulgence pour les fautes même anodines. La mère s’occupait du foyer et de l’éducation des enfants. Elle leur apprit avec sa douceur innée à vaquer dès leur plus tendre enfance aux tâches quotidiennes de la maison et de la ferme, et à accomplir de façon consciencieuse les obligations qui leur étaient confiées. Bien qu’elle ne sût pas lire, c’est elle qui apprit aux enfants les vérités de la foi et les règles morales. Elle les prépara aussi à la Première Communion.
C’est dans ce climat familial que grandit la petite Hélène, choisie par Dieu de toute éternité comme prophète pour notre époque. Quelque chose la distinguait de ses frères et sœurs, et de ses petits camarades du village. Sa mère remarqua qu’elle aimait beaucoup prier, et même qu’elle se levait la nuit pour prier à genoux. Elle essayait de modérer ce zèle en disant à l’enfant : Tu vas finir par devenir folle si tu ne dors pas et si tu te lèves ainsi tout le temps. La petite Hélène répondait : Maman, c’est un ange qui me réveille pour que je prie au lieu de dormir.
A sept ans, Hélène fit pour la première fois l’expérience tangible de l’amour de Dieu : A l’ âge de sept ans, alors que j’ étais aux vêpres et que Jésus était exposé dans l’ ostensoir, j’ ai éprouvé pour la première fois l’ amour de Dieu. Il a rempli mon coeur d’ enfant et le Seigneur m’ a accordé de comprendre les choses divines (P. J. 1404). Aussi, est-ce avec une immense émotion qu’elle se prépara à la Première Communion, qui lui fut administrée par l’abbé Roman Pawłowski pendant la cérémonie qui eut lieu à l’église paroissiale. Elle retourna à la maison consciente de la présence de l’Hôte Divin dans son âme. Quand une voisine lui demanda pourquoi elle rentrait seule, et non pas en compagnie de ses petites camarades, elle lui répondit : Je ne suis pas seule, je marche avec le Seigneur Jésus !. Cette sensibilité à la présence du Dieu vivant se manifesta dès son enfance et augmenta pendant toute sa vie, de même que sa sensibilité aux besoins des autres.
Enfant, Hélène se distinguait déjà par une « imagination de la miséricorde ». Elle apercevait autour d’elle les gens pauvres, nécessitant de l’aide, qui venaient dans le village demander un morceau de pain ou quelque offrande. Non seulement elle les voyait, mais elle réfléchissait à la façon de les aider. Un jour, elle organisa une tombola. Un autre jour, avec de vieux habits de sa mère, elle se déguisa en mendiante et fit du porte-à-porte. Elle remit ensuite au curé l’argent ainsi rassemblé pour les pauvres. Elle aimait aider ses parents. Afin de leur éviter tout souci, elle vaquait en cachette même aux travaux que ses frères et sœurs ne voulaient pas exécuter. Tous l’aimaient, racontait sa mère, elle était élue et la meilleure des enfants. Humble, silencieuse, prête à faire tout travail et à aider tout le monde, elle était en même temps joyeuse et toujours souriante.
Ses parents n’étaient pas les seuls à voir la bonté de la petite Hélène, sa sensibilité à Dieu et aux hommes et sa grande obéissance. Leur voisine Marianna Berezińska en fit cet éloge : Vous avec une enfant bonne, humble et si innocente; Ah, la Kowalski, on dirait qu’elle a une enfant élue !, répétait-elle à travers le village. Ses frères et sœurs et ses petits camarades voyaient en Hélène quelqu’un dont la façon de penser était différente, qui évitait les fêtes du village, aimait la prière et les livres sur les saints. Toute petite, elle nous racontait déjà avec empressement des histoires de saints, de pèlerins et d’ermites qui avaient pour toute nourriture des racines, des baies et du miel de forêt, raconte le frère d’Hélène, Stanislas. Désireuse de faire plaisir à notre père, elle prenait dans notre modeste bibliothèque de la maison les Vies des Saints ou d’autres livres pieux pour en lire à haute voix. Découvrant le destin des ermites et missionnaires, elle gravait tout cela dans sa mémoire à un tel point que le lendemain, en faisant paître le bétail, elle nous transmettait littéralement les histoires retenues, à nous et à d’autres. Elle disait aux enfants que lorsqu’elle aurait grandi, elle irait au couvent, et cela nous faisait rire. Nous ne la comprenions pas.
En 1917 sa Patrie commença à être libérée de l’envahisseur russe, après une longue période de démembrement du pays tout entier. C’est alors qu’on organisa à Świnice Warckie l’enseignement primaire. Hélène, âgée à l’époque de 12 ans, fut scolarisée. Elle savait déjà lire, puisque son père le lui avait appris, mais l’école lui offrait l’opportunité d’une meilleure instruction. Douée, elle n’avait aucune difficulté à apprendre, cependant elle dut arrêter les classes au bout de trois ans à peine, pour faire place à ses frères et soeurs cadets. Comme sa famille ne vivait pas dans l’abondance, elle suivit ses sœurs aînées et devint domestique chez des familles aisées.
2. Une clarté extraordinaire
A 16 ans, la petite Hélène fit pour la première fois ses adieux à ses parents et à ses frères et sœurs et quitta la maison paternelle : Elle se rendit à Aleksandrów Łódzki, où habitaient les époux Leokadia et Kazimierz Bryszewski, parents d’un ami, Marcin Ługowski, du village voisin de Rogów. Elle n’allait donc pas chez des inconnus, mais, pour cette époque, cela semblait bien loin de chez elle. Les Bryszewski avaient besoin d’aide pour leur ménage et pour la garde du petit Zénon, leur fils unique, alors âgé de 6 ans. Voici ses souvenirs, bien des années plus tard : Maman s’occupait des clients à la boutique et Hélène faisait le ménage ; elle aidait à la cuisine et elle devait faire la vaisselle, jeter la poubelle, apporter de l’eau, car le réseau d’eau courante n’existait pas. Elle servait aussi à manger aux employés de la boulangerie, qui étaient nourris par mes parents. Si elle en avait le temps, elle jouait avec moi. Elle avait certainement énormément de travail, parce qu’à la maison, il y avait quatre pièces, y compris la boutique et la boulangerie.
Un jour, elle y vit une grande clarté. Réaliste, elle crut à un incendie et poussa de grands cris à l’instant précis où les boulangers enfournaient le pain. Les employés accoururent, mais l’alerte s’avéra fausse. Elle regagna en effet Głogowiec pour solliciter, auprès de ses parents, l’autorisation d’entrer au couvent. Bien que fervents catholiques, les Kowalski ne voulaient pas se défaire de leur meilleure enfant. Prenant comme prétexte qu’ils n’avaient pas l’argent pour la dot, ils refusèrent de lui donner leur accord. Aussi reprit-elle du service dans une autre famille, cette fois-ci dans la grande ville de Łódź. Elle logea d’abord chez son oncle Michał Rapacki, au 9 de la rue Krośnieńska, tout en travaillant chez trois dames, tertiaires franciscaines. En prenant ce service, elle se réserva le temps d’assister chaque jour à la sainte Messe, de visiter les malades et les mourants, et se confessait régulièrement au Père aumônier de ces pauvres gens.
Le 2 février 1923, ayant reçu une proposition d’une agence de travail, Hélène se présenta dans l’appartement de Mme Marcjanna Sadowska, propriétaire d’une épicerie, au 29 de la rue Abramowskiego à Łódź, qui recherchait de l’aide pour la garde de ses trois enfants. Après des années, Madame Sadowska se souvenait en ces termes de son ancienne servante : Si j’avais à partir en voyage, j’étais rassurée parce qu’elle s’occupait de la maison mieux que moi. Elle était aimable, polie, assidue. Je ne peux rien dire contre elle, car elle était trop bonne. Elle était tellement bonne que les paroles me manquent pour le décrire ! Hélène s’occupait non seulement des enfants de sa patronne, mais aussi de nombreuses personnes dans le besoin, car il n’en manquait pas à cette époque. Dans l’immeuble où elle habitait, un vieil homme malade logeait dans un réduit situé sous l’escalier. Elle ne se contentait pas de lui servir à manger, mais se souciait aussi du salut de son âme, et fit venir un prêtre.
Ses dix-huit ans terminés, Hélène demanda à nouveau à ses parents l’autorisation d’entrer au couvent. Ils réitérèrent leur refus. Elle écrivit plus tard dans son Petit Journal :
Après ce refus, je me suis entièrement adonnée aux vanités de la vie sans accorder la moindre attention à la voix de la grâce, bien que mon âme ne trouvât contentement en rien. L’ appel incessant de la grâce a été un grand tourment pour moi et j’ ai essayé de l’ étouffer par des divertissements. J’ évitais Dieu intérieurement, et je me suis tournée de tout mon être vers les créatures (P. J. 8). Elle ne refusa donc pas une invitation à un bal dans le jardin « Wenecja » à Łódź. Elle écrivit dans le Petit Journal : Au moment où je commençais à danser,j’ ai vu Jésus à côté de moi, Jésus supplicié, dépouillé de ses vêtements, tout couvert de plaies. Il m’ a dit ces paroles :« Jusqu’ à quand vais-je te supporter et jusqu’ à quand vas- tu me faire attendre ? » Aussitôt, la charmante musique s’ est tue, la compagnie dans laquelle je me trouvais a disparu de mes yeux, il n’ y avait plus que Jésus et moi (P. J. 9). Prétextant un mal de tête, elle quitta vite ses compagnes et se rendit à l’église la plus proche qui fut la Cathédrale Saint Stanislas Kostka. Là, sans prêter attention à la présence de quelques personnes, elle tomba les bras en croix devant le Très Saint Sacrement et supplia le Seigneur de lui faire connaître ce qu’elle devait faire. Pars immédiatement pour Varsovie – s’entendit-elle répondre ; là tu entreras au couvent (P. J. 10). Cette fois-ci, Hélène n’a pas demandé l’autorisation à ses parents ; elle part pour Varsovie, un seul petit baluchon comme bagage à main.
Le curé de la paroisse Saint Jacques à Varsovie, l’abbé Jakub Dąbrowski, ayant écouté son histoire, l’envoya chez ses amis, Aldona et Samuel Lipszyc qui habitaient à Ostrówek, dans la commune de Klembów, avec ce billet de recommandation : Je ne connais guère cette jeune fille, mais j’espère qu’elle vous ira. Les Lipszyc avaient besoin d’aide pour la garde de leurs enfants. Dans leur maison, Hélène trouva un havre de paix ; elle en partait seulement pour chercher un couvent où entrer. Quand elle l’eut trouvé, elle resta encore pendant un an chez les Lipszyc pour gagner sa modeste dot. Madame Aldona Lipszyc fit ce témoignage d’elle : Je me souviens de son rire sain et joyeux. Elle chantait beaucoup. Quant à moi, j’associe sa personne au chant qu’elle fredonnait le plus souvent et que j’ai appris d’elle : « Jésus, caché dans le Saint-Sacrement, j’ai à t’adorer… »
Les Lipszyc ne considéraient pas Hélène comme une étrangère, mais comme membre de leur famille ; ils l’aimaient et la respectaient, car elle était laborieuse, joyeuse, s’occupait bien de leurs enfants. Elle avait toutes les qualités pour devenir une bonne épouse et une mère excellente. Pour cette raison, Madame Lipszyc pensait à la marier. Mais Hélène sentait bien que son cœur était si grand qu’aucun amour humain ne pourrait le combler si ce n’est Dieu seul. Dans son Petit Journal elle nous fait cette confidence : C’ était pendant l’ octave de la Fête-Dieu. Dieu a rempli mon âme d’ une lumière intérieure qui m’ a permis une connaissance plus profonde de lui en tant que Bien suprême et supreme Beauté. J’ ai compris combien Dieu m’ aimait. Que son amour pour moi était éternel. Pendant les vêpres, avec des mots simples qui venaient du coeur, j’ ai fait à Dieu voeu de chasteté perpétuelle. A partir de ce moment, j’ ai senti une plus grande intimité avec Dieu, mon Époux. A partir de ce moment, j’ ai construit une petite cellule dans mon coeur où j’ ai toujours demeuré avec Jésus (P. J. 16).
3. « C’est ici que je t’ai appelée »
De la ville d’Ostrówek, Hélène prenait souvent le train et se rendait à Varsovie pour y chercher un couvent, mais à toutes les portes où elle frappait, on refusait de la recevoir. Elle se présenta enfin au couvent des Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame de la Miséricorde. Chétive, elle avait déjà dépassé de deux ans l’âge requis (pour être admise), de constitution assez fragile, servante, cuisinière de profession, et de plus, non seulement sans aucune dot, mais même sans le moindre trousseau. Rien d’extraordinaire, voilà qu’une pauvrette se présentait, frêle, rien de prometteur, rapporta Mère Małgorzata Gimbutt à la Supérieure Générale Mère Leonarda Cielecka, après un examen initial de la candidate. La Supérieure Générale était assez récalcitrante pour recevoir dans la Congrégation des personnes de cette catégorie sociale. Présente à cet entretien, Michaela Moraczewska, Supérieure du couvent de Varsovie, proposa de s’entretenir personnellement avec la candidate. A travers la porte entrouverte du parloir elle aperçut une jeune fille modestement vêtue dont l’aspect un peu négligé l’inclinait à l’éconduire. Mais elle pensa que l’amour d’autrui l’obligeait d’abord à lui parler. Elle entra donc et remarqua que notre candidate se présentait fort avantageusement et voulut l’admettre. Ensuite elle dit à Hélène d’aller demander au Seigneur de la maison s’Il acceptait de la recevoir. Hélène comprit qu’elle devait se rendre à la chapelle ; pendant qu’elle y priait, elle entendit ces paroles du Christ : Je t’ accepte, tu es dans mon coeur (P. J. 14). Elle regagna le parloir et répéta ces mots à la Mère Supérieure qui lui répondit : Si le Seigneur t’ a acceptée, alors moi aussi je t’ accepte (P. J. 14). La pauvreté matérielle d’Hélène était un obstacle à son entrée immédiate dans la Congrégation. Aussi la Mère Supérieure lui conseilla-t-elle de garder encore son emploi actuel le temps d’acquérir un modeste trousseau, et de s’affermir dans sa vocation.
Le 1er août 1925, la veille de la fête de Notre-Dame des Anges, vint pour Hélène Kowalska le moment tant désiré de franchir le seuil de la clôture du couvent de Varsovie. Elle écrivit dans son Petit Journal : Je me sentais infiniment heureuse, il me semblait que j’ étais entrée au paradis. Mon coeur débordant de reconnaissance n’ était qu’ action de grâces (P. J. 17). Mais au bout de trois semaines, elle s’aperçut qu’il y avait dans ce couvent peu de temps pour la prière, et elle songea à entrer dans un couvent plus strict (P. J. 18). Le soir, alors qu’elle priait prosternée dans sa cellule, elle vit soudain le visage endolori de Jésus et Lui demanda : Jésus, qui t’ a causé une telle douleur ? « C’ est toi qui me causeras cette douleur si tu quittes ce couvent. C’ est ici, et non ailleurs, que je t’ ai appelée et que je t’ ai préparé beaucoup de grâces. » (P. J. 19). Elle demanda pardon au Seigneur Jésus et changea tout de suite la décision prise auparavant.
Au bout de quelques semaines de séjour au couvent, la Mère Supérieure envoya la postulante Hélène, en compagnie de deux sœurs, à Skolimów, près de Varsovie pour qu’elle s’y rétablît. Sa santé s’était en effet détériorée à la suite de jeûnes assez sévères pratiqués encore en famille, chez ses parents et chez ses employeurs, mais aussi à cause des expériences spirituelles vécues dans le cadre nouveau de la vie religieuse. A Skolimów, elle demanda au Seigneur Jésus pour qui elle devait prier. En réponse, elle eut une vision du Purgatoire qui lui fit découvrir que la plus grande souffrance des âmes qui demeuraient dans un endroit enfumé et rempli de flammes (…) c’ était de leur nostalgie de Dieu (P. J. 20). Elle entendit ces paroles en son for intérieur : Ma miséricorde ne le veut pas, mais la justice l’ exige. » (P. J. 20). Depuis, Hélène priait avec plus d’ardeur pour les âmes souffrant au Purgatoire afin de leur venir en aide, et Dieu lui permettait une intimité plus étroite avec elles.
A cette époque, la Maîtresse des postulantes qui commençaient la première étape de leur vie religieuse – était Mère Janina Olga Bartkiewicz, une personne dotée d’une grande intelligence et d’un grand cœur, mais très exigeante envers soi et les autres. Elle dissimulait sa bonté et sa générosité au service de Dieu et des âmes sous une apparence de rudesse et de sévérité. Elle montrait beaucoup de cœur à l’égard des postulantes qui se préparaient à la vie religieuse, tout en les menant d’une main de fer. Elle disait d’Hélène qu’elle avait une vie intérieure particulièrement profonde et qu’elle devait être une petite âme agréable au Seigneur Jésus. Une autre postulante, Soeur Szymona Nalewajk, admirait également Hélène parce qu’elle acceptait avec humilité et sans discuter toutes les réflexions et humiliations. J’étais stupéfaite, écrivit-elle plus tard dans ses mémoires, de voir chez une postulante débutante tant de bonté et de retenue. Cette attitude lui venait de la foi vive et du soin qu’elle prenait constamment pour ressembler à Jésus doux et humble de Coeur, qui aimait tous les hommes d’un amour patient, compréhensif et extrêmement généreux ; Il s’abandonnait au Père céleste en tout, jusqu’à la mort sur la croix.
Hélène passa les derniers mois de son postulat à la Maison du Noviciat de Cracovie, où elle arriva le 23 janvier 1926. A l’époque, Mère Małgorzata Gimbutt était Maîtresse des novices ; ce fut une religieuse silencieuse, humble et mortifiée, adonnée à la prière, qui éduquait les jeunes novices qu’on lui avait confiées, en premier lieu par son propre témoignage. C’est elle qui prépara Hélène à la vêture et la dirigea pendant les deux premiers mois du noviciat.
4. « A partir d’aujourd’hui tu porteras
le nom de Sœur Marie Faus- tine »
A partir d’aujourd’hui, tu ne t’appelleras plus par ton nom de baptême, mais tu porteras le nom de Sœur Marie Faustine. Ces paroles furent adressées à la postulante Hélène Kowalska le jour de la cérémonie de sa vêture (prise d’habit), le 30 avril 1926. Au cours de ces cérémonies Hélène s’évanouit à deux reprises. Sœur Klemensa Buczek, qui l’aidait à enlever sa robe blanche et son voile pour revêtir un nouvel habit religieux, croyait que ces évanouissements étaient dûs au regret du monde. Comme cela devait se révéler plus tard, c’était l’effet de ses expériences mystiques : au moment de sa prise d’habit, Dieu fit connaître à Hélène combien elle aurait à souffrir. Elle vit clairement ce à quoi elle s’engageait. Cette souffrance ne dura qu’une minute, puis Dieu répandit de nouveau dans son âme de grandes consolations.
Le 20 juin 1926, au bout de deux mois, eut lieu un changement de Maîtresse des novices : Mère Małgorzata Gimbutt fut remplacée par Mère Maria-Józefa Brzoza. La nouvelle Maîtresse fut préparée à cette fonction à Laval en France, où la Fondatrice de notre Congrégation, la comtesse Ewa Potocka, née princesse Sułkowski, en religion Mère Teresa, puisa les modèles de vie religieuse et de travail apostolique pour sa future fondation en Pologne. L’éducation solide de la nouvelle Maîtresse et son expérience personnelle faisaient d’elle une personne adéquate pour guider les jeunes novices sur les chemins de la vie spirituelle. Elle leur transmettait une connaissance approfondie de Dieu, une formation à la prière et à l’ascèse chrétiennes, permettant ainsi à leur piété de ne pas être sentimentale ou « molle », mais solide et apte à les amener à l’union avec Dieu. Mère Maria-Józefa les guidait aussi sur la voie de l’obéissance, de l’humilité et de l’amour généreux du prochain et des âmes confiées au zèle apostolique de la Congrégation. Sœur Faustine profitait assidûment de toutes les leçons de sa Maîtresse en remplissant consciencieusement les tâches quotidiennes. Nous avons été au noviciat ensemble pendant un an, se souvint sa consoeur plus âgée, Krescencja Bogdanik, et j’ai vu alors que Sœur Faustine remplissait ses tâches avec zèle. En tant que novice aînée, j’étais sa tutrice (le soi-disant « ange gardien » dans la vie religieuse). Je devais l’initier au rythme de la vie religieuse et je l’admirais pour la rapidité avec laquelle elle comprenait tout. Je n’avais jamais besoin de lui répéter deux fois la même chose, comme ce fut le cas pour d’autres novices. Une joie d’enfant rayonnait toujours sur son visage.
Une autre consoeur, Szymona Nalewajk, ajoute : A cette époque-là, Sœur Faustine parlait souvent de la Miséricorde divine, tandis que moi, au contraire, je mettais l’accent sur la justice de Dieu. Elle l’a toujours emporté avec la force de ses arguments. Ses consœurs l’appelaient plaisamment « la juriste », car elle savait focaliser la conversation sur les vérités de Dieu. Les novices l’aimaient beaucoup et cherchaient sa compagnie au cours de la récréation ; chacune voulait être près d’elle parce que, sans rien perdre de sa gaîté, elle émanait la présence de Dieu.
Cependant cette joie fut ternie à la fin de la première année de son noviciat : vint pour Soeur Faustine une période d’épreuves spirituelles extrêmement douloureuses, définies comme les nuits passives de l’esprit. Elle nota dans son Petit Journal : Vers la fin de ma premiere année de noviciat, les ténebres commencent à envahir mon âme : je ne retire aucune consolation de ma prière, je n’ arrive à méditer qu’ au prix d’ un grand effort, l’ angoisse commence à me gagner. Je rentre plus profondément en moi-même et je n’ y vois rien, sinon une grande misère. Je vois aussi très clairement l’ immense sainteté de Dieu. Je n’ ose pas lever les yeux vers lui, mais je me jette à ses pieds dans la poussière et j’ implore sa miséricorde. Près de six mois s’ écoulent ainsi et l’ état de mon âme ne change pas. Notre chère mère maîtresse m’ insuffle du courage dans ces moments difficiles, mais ma souffrance ne cesse d’ augmenter. Ma deuxieme année de noviciat approche. A la pensée que je dois prononcer mes voeux un frisson traverse mon âme. Je ne comprends pas ce que je lis, je suis incapable de méditer. Il me semble que mes prières ne sont pas agréables à Dieu. Quand je m’ approche des sacrements, il me semble que j’ offense Dieu encore davantage. Cependant mon confesseur ne m’ a pas permis d’ omettre une seule fois la sainte Communion. Dieu agissait dans mon âme d’ une maneère étrange. Je ne comprenais absolument rien de ce que me disait mon confesseur. Je ne comprenais plus les simples vérités de la foi, mon âme tourmentée ne trouvait nulle part de contentement. A un moment, la pensée m’ est venue, très forte, que j’ étais rejetée par Dieu. Cette pensée effroyable a transpercé mon âme de part en part et dans cette souffrance mon âme a commencé à agoniser. Je voulais mourir, mais je ne le pouvais pas (P. J. 23).
Dans ces expériences si douloureuses, Sœur Faustine reçut l’aide de la Maîtresse du Noviciat qui non seulement sut reconnaître l’état d’âme de sa novice, ce qui n’était guère facile, mais qui prit les mesures appropriées. Elle lui recommanda de remplacer les longues oraisons, qui exigeaient un grand recueillement et un engagement personnel, par la récitation d’actes jaculatoires, et de se soumettre ainsi à la volonté de Dieu. Elle lui expliqua que Dieu est toujours un Père, bien qu’Il nous éprouve, et que les épreuves ont pour but de préparer l’âme à l’union intime avec Lui.
Ces nuits obscures de l’esprit n’étaient pas dépourvues d’instants de lumière et de joie, lorsque Dieu permettait à sainte Soeur Faustine de sentir son amour ou que la Mère de Dieu lui venait en secours. Elle vécut de tels instants le 30 avril 1928 lors de la cérémonie de ses premiers vœux religieux présidée par l’évêque auxiliare de Cracovie, Mgr Stanislas Rospond. Ses parents vinrent au couvent de Kraków-Łagiewniki. C’était leur première rencontre avec leur fille depuis qu’elle était partie comme servante à Łódź. Tu vois, papa chéri – dit Soeur Faustine à son père qui s’était fermement opposé jadis à ce qu’elle entrât au couvent – Celui à qui j’ai prêté serment est mon Epoux et ton gendre ! Cette affirmation et le bonheur de leur enfant le convainquirent ; ils consentirent dès lors à sa vie de religieuse.
Après ses vœux temporaires, Sœur Faustine demeura à Cracovie pendant plusieurs mois. En octobre 1928 eut lieu un Chapitre Général dans la Congrégation Notre-Dame de la Miséricorde, au cours duquel la responsabilité de Supérieure Générale fut confiée à Mère Michaela – Olga Moraczewska. C’était une personne cultivée qui connaissait plusieurs langues, finit le Conservatoire de Musique, et en même temps une religieuse de grand esprit (elle a donné sa vie en offrande pour sauver les âmes). En tant que Supérieure Générale, elle dirigea la Congrégation pendant 18 ans, veillant sur sa vie spirituelle et apostolique. A l’issue de révélations qu’avait eues Sœur Faustine, elle confia le gouvernail de la Congrégation à la Vierge Marie, Mère de Miséricorde, en l’appelant Supérieure Générale céleste. Elle jouissait d’une immense confiance de la part de Sœur Faustine. Elle lui fut d’un grand secours pour réaliser sa vocation et devint un instrument de la Providence pour faire reconnaître sa mission prophètique.
Pendant les premières années de son juniorat, c’est-à-dire après sa première profession religieuse, Sœur Faustine travailla dans plusieurs maisons de la Congrégation. Au début de 1929, elle partit pour Wilno (Vilnus) afin de remplacer Sœur Petronela Basiura qui devait faire sa troisième probation (une étape de formation avant les voeux perpétuels). Elle regagna ensuite Varsovie, rue Żytnia, et peu après fut amenée à quitter cette maison pour s’installer dans une autre, récemment fondée par la Congrégation au quartier de Grochów à Varsovie, rue Hetmańska. Au cours de cette même année, elle alla à Kiekrz près de Poznań, où elle devait remplacer à la cuisine Sœur Modesta Rzeczkowska qui était malade. Elle regagna ensuite Varsovie, mais pour peu de temps. La Supérieure Générale expliquait ces changements fréquents de Soeur Faustine de la manière suivante : Les circonstances étaient telles qu’il fallait changer souvent Sœur Faustine d’une maison à l’autre, si bien qu’elle travaillait presque dans toutes les maisons de la Congrégation. Ainsi, à l’issue d’un bref séjour à Varsovie, rue Żytnia, puis au quartier de Grochów, elle a été de nouveau transférée à Płock ; de là, elle vint pour une courte période à Biała qui fut une colonie agricole de la maison de Płock. A Płock son occupation principale consistait à vendre du pain à la boulangerie du couvent et il en fut ainsi jusqu’à ce qu’elle fût partie pour sa trosième probation.
5. « Peins un tableau »
C’est au couvent de Płock où Sœur Faustine arriva en mai ou en juin 1930 que commença sa grande mission prophétique. C’était le dimanche 22 février 1931. Quand elle regagna sa cellule le soir, elle vit avec les yeux du corps le Seigneur Jésus portant une tunique blanche. Il levait une main pour bénir. Sa main gauche touchait son vêtement sur la poitrine d’où sortaient deux rayons, l’un rouge et l’autre pâle. Au bout d’un moment, Jésus lui dit : Peins un tableau selon le modèle que tu vois, avec l’ inscription: Jésus, j’ ai confiance en toi. Je désire que l’ on vénère ce tableau d’ abord dans votre chapelle, puis dans le monde entier. Je promets que l’ âme qui vénérera ce tableau ne sera pas perdue. Je lui promets aussi la victoire sur ses ennemis dès ici-bas, et particulièrement à l’ heure de la mort. Je la défendrai moi-même comme ma propre gloire (P. J. 47-48).
Soeur Faustine en parla au prêtre durant la confession et celui-ci lui enjoignit de peindre une image de Jésus dans son âme. Mais, au moment où elle sortit du confessionnal, elle entendit Jésus lui expliquer : Mon image est déjà dans ton âme. Je désire qu’ il y ait une fête de la Miséricorde. Je désire que ce tableau que tu peindras au pinceau soit solennellement béni le premier dimanche après Pâques : ce dimanche doit être la fête de la Miséricorde. Je désire que les prêtres proclament mon immense miséricorde envers les âmes des pécheurs. Que les pécheurs n’ aient pas peur de s’ approcher de moi. Les flammes de ma miséricorde me brûlent, je veux les répandre sur les âmes des hommes (P. J. 49-50). Ainsi assurée par Jésus qu’il s’agissait bien d’un tableau matériel, elle exposa l’affaire à la Supérieure locale, Mère Róża Kłobukowska, qui exigea un signe susceptible de confirmer l’authenticité de ces révélations. Jésus dit à Sœur Faustine qu’il donnerait ce signe par l’intermédiaire des grâces accordées par ce tableau. Comme Sœur Faustine ne savait pas peindre et qu’elle voulait accomplir le désir de Jésus, elle demanda à Sœur Bożenna Pniewska de lui venir en aide. Ne sachant pas peindre, se souvient Sœur Bożenna, et ignorant qu’elle tenait à un tableau de type nouveau, je lui ai proposé de lui faire choisir une image, car j’en avais beaucoup et de jolies ! Elle a dit merci sans suivre ma proposition.
Des bruits commencèrent à se répandre au couvent de Płock sur la révélation de Sœur Faustine. Ses consœurs avaient des doutes à son égard : les unes l’avertissaient de ne pas céder à une illusion, d’autres lui reprochaient d’être hystérique et fantaisiste, d’autres enfin affirmaient avec admiration qu’elle devait être proche de Jésus pour supporter tant de souffrances avec un tel calme. J’ ai malgré tout décidé de tout supporter en silence et de ne pas me justifier quand on me posait des questions, a noté Soeur Faustine dans son Petit Journal. Certaines soeurs, surtout les plus curieuses, étaient irritées par mon silence. D’ autres, plus réfléchies, disaient que soeur Faustine devait quand même être très proche de Dieu pour avoir la force de supporter tant de souffrances (P. J. 126).
Sa plus grande souffrance fut le manque de certitude personnelle quant à l’origine de ces apparitions. Ses soeurs Supérieures l’envoyaient consulter des prêtres ; ces derniers la renvoyaient à nouveau à ses Supérieures… Sœur Faustine désirait qu’un prêtre tranchât la question avec autorité, en lui adressant des paroles rassurantes : Soyez tranquille, vous êtes sur une bonne voie », ou bien : « Rejetez tout cela, car cela ne vient pas de Dieu. » (P. J. 127). Déchirée intérieurement, elle tâchait d’éviter le Seigneur, mais quand Il venait, elle Lui demandait : Jésus, es-tu mon Dieu ou bien un fantôme ? Car mes supérieures me disent qu’ il y a des illusions et des fantômes de toutes sortes. Si tu es mon Seigneur, bénis-moi, je t’ en prie. » Aussitôt, Jésus a fait un grand signe de croix sur moi et je me suis signée. Quand j’ ai demandé pardon à Jésus de lui avoir posé cette question, il m’ a répondu que cela ne lui avait fait aucune peine et que ma confiance lui plaisait beaucoup (P. J. 54).
L’absence de directeur spirituel fixe ainsi que l’impossibilité de remplir les souhaits de Dieu la paralysaient. Elle voulut se soustraire aux inspirations surnaturelles. Mais Jésus lui expliqua patiemment la grandeur de l’œuvre pour laquelle il l’avait choisie. Sache que si tu négliges la peinture de ce tableau et toute l’ oeuvre de la miséricorde, tu devras rendre compte d’ un grand nombre d’ âmes le jour du jugement (P. J. 154). Ces paroles remplirent son âme d’une grande frayeur, car elle se rendit compte qu’elle était responsable non seulement de son propre salut, mais aussi de celui des autres. Elle résolut donc de faire tout son possible et implora Jésus de lui accorder les grâces nécessaires pour accomplir Sa volonté ou bien de donner ces grâces à une autre personne, car elle ne faisait que les gaspiller.
En novembre 1932, Sœur Faustine quitta Płock et revint à Varsovie pour la « troisième probation », l’utime étape de la formation religieuse avant d’émettre les voeux perpétuels. Comme elle n’avait pas encore fait de retraite spirituelle cette année-là, sa Supérieure lui recommanda de se rendre d’abord au couvent des Soeurs à Walendów, non loin de Varsovie. Là, commençait précisément la retraite annuelle de huit jours présidée par un jésuite, Père Edmund Elter, professeur d’éthique, d’homilétique et de rhétorique à l’Université Gregorianum à Rome. Soeur Faustine se confessa à lui. Le Père Elter, en éminent connaisseur d’âmes, l’assura qu’elle était sur une bonne voie et que son intimité avec Jésus n’était ni hystérie, ni illusion, ni rêverie. Il lui recommanda d’être fidèle aux grâces, ne lui permit point de s’y soustraire, mais lui enjoignit de demander à Dieu un directeur spirituel pour l’aider à reconnaître et accomplir Ses desseins. Après la retraite, elle regagna Varsovie pleine de reconnaissance et de joie spirituelle, pour se préparer avec deux autres sœurs aux vœux perpétuels dont Mère Małgorzata Gimbutt fut la directrice.
Fin avril 1933, Sœur Faustine se rendit à Cracovie pour une nouvelle retraite de huit jours avant sa profession solennelle. …quand je pense que dans quelques jours je dois devenir un avec le Seigneur par mes voeux perpétuels, mon âme est inondée d’ une joie si inconcevable qu’ il m’ est absolument impossible de l’ exprimer (P. J. 231). Le 1er mai 1933 eut lieu la cérémonie des vœux perpétuels présidée par un évêque auxiliaire de Cracovie, Mgr Stanisław Rospond. Sœur Faustine recommanda en ce jour à Jésus toute la Sainte Eglise, sa propre Congrégation, sa famille, tous les pécheurs, les agonisants et les âmes du Purgatoire. Elle remercia Dieu pour l’inconcevable dignité d’épouse du Fils de Dieu et pour les insignes royaux qui devaient l’orner à partir de ce jour : la croix, le glaive et la couronne d’épines. Elle demanda à Marie, Mère de Dieu une protection plus particulière, lui rappelant qu’Elle avait le nouveau titre pour aimer « son enfant » : Marie, très sainte Mère de Dieu, ma Mère, tu es maintenant ma Mère d’ une façon toute spéciale, puisque ton Fils bien-aimé est mon Époux : nous sommes donc tous deux tes enfants. Par égard pour ton Fils, tu dois m’ aimer. Marie, ma Mère bien-aimée, dirige ma vie intérieure pour qu’ elle soit agréable à ton Fils (P. J. 240). Elle reçut un anneau des mains de l’évêque sur lequel était gravé le nom de Jésus. Depuis, son intimité avec Dieu fut plus étroite que jamais. Elle aimait Dieu de toutes ses forces d’âme et se sentait aimée de Lui.
6. Les vœux exaucés
Après les vœux perpétuels, Sœur Faustine resta encore un mois au couvent de Cracovie sous la direction spirituelle du Père Józef Andrasz sj qui, tout comme le Père Edmund Elter sj, l’affermissait dans la véracité des révélations reçues du Seigneur et lui recommandait la plus grande fidélité à la grâce de Dieu et l’obéissance. A la fin du mois de mai 1933, elle fut transférée au couvent des Soeurs à Wilno (Vilnus). En route pour Wilno, elle s’arrêta au Sanctuaire de Notre-Dame (Reine de Pologne) à Częstochowa pour confier à Marie son avenir et la mission reçue de Dieu.
A Wilno, Sœur Faustine allait devenir jardinière ; elle ne connaissait pas trop les secrets du jardinage, mais accepta la volonté de Dieu en esprit de foi, sûre que le Seigneur Jésus l’aiderait et lui indiquerait des personnes qui lui diraient ce qu’il fallait faire, quand et comment il fallait procéder pour qu’il y ait dans le potager de jolies fleurs, de beaux légumes et de beaux fruits. Cependant son plus grand souci n’était pas là : la mission que Jésus lui avait confiée la préoccupait le plus. Elle attendait de connaître le prêtre que Jésus lui avait promis et d’avoir la possibilité d’accomplir la volonté de Dieu concernant la peinture du tableau de Jésus Miséricordieux. La semaine de la confession est arrivée et, à ma grande joie, j’ ai vu le prêtre que je connaissais déja avant d’ arriver à Vilnius. Je l’ ai connu dans ma vision. Soudain, j’ ai entendu dans mon âme ces paroles: « Voici mon serviteur fidèle, il t’ aidera à accomplir ma volonté ici, sur la terre. » (P. J. 263).
Ce prêtre était l’abbé Michał Sopoćko, professeur de théologie pastorale à la Faculté de Théologie de l’Université Etienne Báthory de Wilno, et de matières pédagogiques au Cours Supérieur pour Enseignants, père spirituel au Séminaire Archidiocésain de Wilno, confesseur de nombreuses congrégations, parmi lesquelles – la Congrégation des Soeurs de Notre-Dame de la Miséricorde qu’il confessait toutes les semaines.
En confesseur expérimenté et en directeur spirituel, l’abbé Sopoćko chercha d’abord à bien connaître sa pénitente, Faustine, afin de ne pas céder à des illusions, hallucinations ou chimères dont la nature humaine pouvait être la source. Ainsi s’informa-t-il auprès de la Mère Supérieure, Sœur Irena Krzyżanowska, de la vie religieuse de Sœur Faustine et demanda-t-il qu’on examinât sa vie psychique et physique. Après avoir obtenu des avis flatteurs à tous égards du docteur Helena Maciejewska quant à la bonne santé psychique de Sœur Faustine, l’abbé Sopoćko garda encore, pendant un certain temps, une attitude circonspecte ; il restait prudent, réfléchissait, priait et recherchait le conseil de prêtres éclairés, tout en gardant une discrétion absolue quant au contenu des révélations de sa pénitente et quant à sa personne même. Enfin, il avoua : Mu par la curiosité de voir quel serait ce tableau plutôt que par la conviction que les visions de Sœur Faustine étaient vraies, j’ai résolu d’entreprendre la peinture de ce tableau. J’ai pris contact avec le peintre Eugeniusz Kazimirowski, qui habitait dans la même maison que moi et qui a bien voulu se charger de la peinture moyennant une certaine somme d’argent, ainsi qu’avec la Sœur Supérieure qui a autorisé Sœur Faustine à aller chez le peintre deux fois par semaine afin de lui indiquer comment devait se présenter ce tableau.
La peinture du premier tableau de Jésus Miséricordieux commença début janvier 1934 dans une grande discrétion. Pour ne pas attirer l’attention des Sœurs sur les expériences spirituelles de Sœur Faustine, écrivait la Mère Supérieure Irena Krzyżanowska, je l’ai accompagnée chaque samedi matin à la Sainte Messe à Ostra Brama ; après la Messe, nous sommes passées chez l’artiste peintre, que Sœur Faustine informait en détail sur la façon dont il devait peindre le tableau du Seigneur Jésus Miséricordieux. L’artiste peintre s’efforçait de s’adapter à toutes les exigences de Sœur Faustine.
Le fait de reproduire sur la toile la vision du Christ Miséricordieux que Sœur Faustine eut à Płock, faisait naître un certain nombre de questions fondamentales que l’abbé Sopoćko lui posait ; elle les transmettait à Jésus dans la simplicité du cœur. Mon regard sur ce tableau est le même que mon regard sur la croix – lui expliquait Jésus.. Ces deux rayons indiquent le sang et l’ eau. Le rayon translucide signifie l’ eau, qui justifie les âmes ; le rayon rouge signifie le sang, qui est la vie des âmes… (…) Heureux celui qui vivra dans leur ombre, parce que la main juste de Dieu ne l’ atteindra pas (P. J. 326, 299). Le contenu de l’inscription restait encore sujet à caution. L’abbé Sopoćko pria Soeur Faustine d’interroger Jésus aussi à ce sujet. Elle nota dans son Petit Journal : Jésus m’ a rappelé ce qu’ il m’ avait dit la première fois, à savoir que ces trois mots devaient être mis en évidence. Ces mots sont : « Jésus, j’ ai confiance en toi. » (P. J. 327).
Au bout de plusieurs mois, en juin 1934, le travail de peinture arriva à son terme. Mais Sœur Faustine n’était pas contente, bien que le peintre et l’abbé Sopoćko aient tout fait pour rendre fidèlement la vision de Jésus. Quand elle fut de retour à la chapelle du couvent, elle se plaignit à Jésus : « Qui te peindra aussi beau que tu l’ es ? » Et j’ ai entendu ces mots : « La vertu de ce tableau n’ est ni dans la beauté de la couleur, ni dans l’ art du peintre, mais dans ma grâce » (P. J. 313).
Quand la peinture fut achevée, l’abbé Sopoćko plaça le tableau dans le couloir sombre du couvent des Sœurs Bernardines, près de l’église Saint-Michel dont il était recteur. Voici ses souvenirs : Ce tableau était d’un contenu nouveau et pour cette raison, il m’était impossible de l’accrocher dans l’église sans l’autorisation de Mgr l’Archevêque, alors que j’étais intimidé de le lui demander et plus encore, de lui parler de l’origine de ce tableau. Sœur Faustine, exhortée par Jésus, demandait pourtant de faire accrocher le tableau dans l’église. Pendant la Semaine Sainte, elle déclara à l’abbé Sopoćko que Jésus l’exigeait avec insistance et demandait que le tableau fût placé pendant trois jours à Ostra Brama. C’est là que devait avoir lieu le Triduum avant le Dimanche in albis qui devait clore le Jubilé de la Rédemption du monde. J’ai bientôt appris, écrit l’abbé Sopoćko, que le Triduum aurait lieu, auquel le chanoine Stanislas Zawadzki, curé d’Ostra Brama, m’avait invité à donner un sermon. J’ai été d’accord, à condition de placer ce tableau comme décoration dans la fenêtre de la galerie. Il avait l’air imposant et attirait l’attention du monde plus que l’Icône de Notre-Dame.
C’est surtout le fait d’accomplir les souhaits du Seigneur Jésus qui fit la joie de Sœur Faustine pendant ces jours : le Tableau de la Miséricorde était exposé à la vénération publique à l’endroit le plus important de Wilno, au Sanctuaire de Notre-Dame d’Ostra Brama. De plus, c’était bien le jour que Jésus avait indiqué pour la Fête de la Miséricorde Divine. L’abbé Sopoćko fit un sermon sur la miséricorde de Dieu, pendant lequel Sœur Faustine vit Jésus prendre un aspect vivant sur le tableau. Ses rayons pénétraient les cœurs des personnes rassemblées à cette cérémonie et les rendaient heureuses. Jésus dit à Soeur Faustine : Tu es le témoin de ma miséricorde. Tu te tiendras pour l’ éternité devant mon trône comme témoin vivant de ma miséricorde. » (P. J. 417).
7. Les missions nouvelles
La joie de voir les souhaits de Jésus accomplis, son tableau peint et exposé à l’adoration publique le premier dimanche après Pâques, au jour prévu pour la fête de la Miséricorde, ne dura pas longtemps, puisque, dès le mois de mai 1935, Sœur Faustine sentit intuitivement que de nouvelles missions qu’elle redoutait beaucoup, l’attendaient. Un jour, lorsqu’elle faisait sa lecture spirituelle au lieu de s’adonner à la prière intérieure, elle entendit soudain dans son âme les paroles suivantes « Tu prépareras le monde à mon ultime venue. » (P. J. 429). Elle en fut bouleversée et, bien qu’elle feignît de ne pas les avoir entendues, elle les comprit très bien. Cependant elle s’abstint pour le moment d’en parler à qui que ce soit.
Le 9 juin 1935, dimanche soir de la Pentecôte, alors qu’elle se trouvait dans le jardin, le Seigneur Jésus lui transmit une nouvelle mission : Tu imploreras avec tes compagnes la miséricorde pour vous et pour le monde (P. J. 435). Comme le faisaient les prophètes bibliques, elle se mit à énumérer devant lui toutes ses incapacités pour accomplir cette œuvre. Sans y prêter attention, Jésus non seulement ne retira pas son ordre, mais l’encouragea à s’y soumettre : Ne crains rien, je suppléerai moi-même à tout ce qui te manque (P. J. 435). Elle n’était pas pourtant convaincue d’avoir bien compris ses paroles, à savoir qu’elle devait fonder une nouvelle congrégation. De plus, elle ne reçut pas d’ordre explicite d’en parler à son confesseur et, pour cette raison, elle se tut pendant les 20 jours suivants. Ce n’est qu’en s’entretenant avec son directeur spirituel, l’abbé Michał Sopoćko, qu’elle avoua ceci : Dieu exige qu’ il y ait une Congrégation pour proclamer sa miséricorde et l’ implorer pour le monde (P. J 436). Pendant cet entretien, elle vit Jésus qui confirma sa volonté en disant : Je désire qu’ une telle Congrégation existe (P. J. 437). C’est en vain que Sœur Faustine étalait toutes ses impuissances à accomplir ce projet de Dieu. Le lendemain, au cours de la Sainte Messe, elle vit à nouveau Jésus qui lui redit son désir de réaliser cette oeuvre au plus tôt. Après la Sainte Communion, dans une expérience toute mystique, Soeur Faustine reçut une bénédiction de la Sainte Trinité qui la fortifia au point de ne craindre plus rien ; elle consentit par un acte purement intérieur à accomplir la volonté de Dieu, bien qu’elle sût combien cela entraînerait de souffrances pour elle.
Le vendredi, 13 septembre 1935, Sœur Faustine eut dans sa cellule une vision de l’Ange exécuteur de la colère de Dieu qui allait punir la terre. Quand elle eut vu ce messager du courroux divin, elle se mit à supplier l’Ange de s’abstenir quelques instants et que le monde ferait pénitence. Mais dès qu’elle se retrouva devant la majesté de la Sainte Trinité, elle n’osa plus répéter ses suppliques… Soudain, elle sentit dans son âme la puissance de la grâce de Jésus et se mit à prier Dieu avec les paroles qu’elle entendait dans son for intérieur : ce furent bel et bien les paroles du Chapelet à la Divine Miséricorde. Elle vit alors l’impuissance de l’Ange qui renonça à la juste punition pour les péchés des hommes. Le lendemain matin, au moment d’entrer dans la chapelle, le Seigneur Jésus lui-même l’instruisit encore une fois de la façon dont elle devait réciter cette prière sur un chapelet ordinaire : tu diras d’ abord un Notre Père, puis un Je vous salue, Marie et Je crois en Dieu. tu diras d’ abord un Notre Père, Ensuite, sur les grains du Notre Père, tu diras les paroles suivantes : « Père Éternel, je t’ offre le corps et le sang, l’ âme et la divinité de ton Fils bien-aimé, notre Seigneur Jésus-Christ, en réparation de nos péchés et de ceux du monde entier. » Sur les grains du Je vous salue, Marie, tu diras les paroles suivantes : « Par sa douloureuse Passion, sois miséricordieux pour nous et pour le monde entier. » A la fin du chapelet, tu diras trois fois ces paroles : Dieu Saint, Dieu Fort, Dieu Immortel, aie pitié de nous et du monde entier (P. J. 476). Cette prière sert à apaiser ma colère (P. J. 476).
Lors des révélations suivantes, le Seigneur Jésus transmit à Sœur Faustine les grandes promesses qu’Il attachait à la prière confiante de ce Chapelet. Il promit la grâce d’une mort paisible et heureuse non seulement à ceux qui le réciteraient, mais encore aux mourants au chevet desquels d’autres diraient cette même prière. Il dit : même le pécheur le plus endurci, s’ il dit ce chapelet une seule fois, recevra la grâce de mon infinie miséricorde (P. J. 687).
Il me plaît de leur accorder tout ce qu’ elles me demanderont en disant ce chapelet (P. J. 1541). Ces promesses du Seigneur Jésus et d’autres ne s’accomplissent que lorsque les pratiques de la Dévotion à la Miséricorde qu’il nous indique découlent d’une attitude intérieure de confiance en Dieu et de l’amour du prochain.
Pendant le séjour de Sœur Faustine à Wilno, le Seigneur Jésus revint à la question de l’institution de la Fête de la Miséricorde Divine dans l’Eglise. Il lui rappela son désir de célébrer la Fête le premier dimanche après Pâques, car Les âmes périssent malgré mon amère Passion (P. J. 965). Ce jour devait constituer un refuge et un abri pour toutes les âmes, en particulier celles des pauvres pécheurs. Il fit cette promesse : Ce jour-là, les entrailles de ma miséricorde sont ouvertes et je déverse tout un océan de grâces sur les âmes qui s’approcheront de la source de ma miséricorde : toute âme qui se confessera et qui
communiera obtiendra le pardon complet de ses fautes et la rémission de sa peine. Ce jour-là, toutes les sources divines par lesquelles se déversent les grâces sont ouvertes. Qu’ aucune âme n’ ait peur de s’ approcher de moi, mme si ses péchés sont comme l’ écarlate (P. J. 699). En ce jour, les prêtres doivent prêcher sur l’amour miséricordieux de Dieu pour les hommes et éveiller en leurs cœurs la confiance en Lui. Cette attitude leur permettra de puiser largement les grâces aux sources de Sa miséricorde. L’humanité ne trouvera pas la paix tant qu’elle ne se tournera pas avec confiance vers ma miséricorde, dit Jésus à Sœur Faustine (P. J. 300).
8. Les nuits obscures de l’esprit
Dans la vie de Sœur Faustine, les missions nouvelles étaient accompagnées d’une deuxième étape de purifications douloureuses appelées nuits passives de l’esprit. La fondation d’une nouvelle congrégation était comme une toile de fond pour le Seigneur Dieu qui accomplissait sa propre œuvre dans l’âme de Sœur Faustine. Elle pensait d’abord que Jésus désirait d’elle de quitter sa Congrégation pour en fonder une autre, de caractère contemplatif. C’est avec cette intention au coeur qu’elle quittait Wilno, le 21 mars 1936. En route, elle fit halte à Varsovie pour s’entretenir avec Mère Générale Michaela Moraczewska en qui elle avait une grande confiance. Après avoir écouté Sœur Faustine, la Mère Générale lui dit que, pour le moment, la volonté de Dieu était qu’elle reste dans sa Congrégation-mère, parce qu’elle y avait émis ses vœux perpétuels. Elle exprima aussi la conviction que l’œuvre de la miséricorde que Jésus lui confiait devait être très belle puisque Satan s’y opposait tant. Elle lui conseilla cependant de ne pas être pressée pour la fondation d’une nouvelle Congrégation, car si le projet venait réellement de Dieu, il prendrait forme avec le temps et serait réalisé.
Après plusieurs semaines passées à Walendów, elle alla dans une autre maison de la Congrégation située à Derdy, à un kilomètre de distance. Elle y préparait les repas pour quelques sœurs et plus d’une trentaine d’élèves. Sœur Serafina Kukulska raconte : Elle avait une aide cuisinière, une jeune fille néophyte, d’un caractère très désagréable, avec laquelle personne ne voulait collaborer ; cette fille précisément, en travaillant avec Sœur Faustine, a changé à ne plus la reconnaître ! Telle était son influence silencieuse, mais inspirée par Dieu seul, sur les âmes pécheresses. Sœur Faustine avait si peu de travail à Derdy que le séjour dans cette maison lui semblait un repos. Elle devait faire la sieste pendant deux heures dans l’après-midi, elle pouvait faire certains exercices spirituels en se promenant dans la forêt voisine et respirer l’air pur à pleins poumons. Elle sentait que le séjour en ces lieux lui restituait ses forces physiques déjà bien altérées. Elle devait cependant partir bientôt pour Cracovie qui offrait de meilleures conditions pour traiter la tuberculose. Sœur Faustine fondait de grands espoirs sur son séjour au couvent de Cracovie quant à la réalisation définitive des desseins de Dieu concernant la fondation de la nouvelle congrégation.
Bien qu’elle sût désormais que cette « congrégation » serait une grande œuvre au sein de l’Eglise, comportant des congrégations masculines et féminines ainsi que des associations de laïcs (elle en parlait déjà à l’abbé Sopoćko dans sa lettre d’avril 1936), elle était toujours convaincue que son rôle consisterait à fonder un ordre contemplatif. Arrivée à Cracovie, elle rencontra le Père Józef Andrasz sj, qui lui enjoignit de prier jusqu’à la fête du Sacré Cœur de Jésus, en ajoutant à sa prière une mortification : il lui donnerait alors la réponse. Pressée intérieurement, Sœur Faustine n’attendit pas cette date, mais à la confession hebdomadaire, elle déclara au Père Andrasz qu’elle avait décidé de quitter la Congrégation. Le directeur spirituel lui dit que, puisqu’elle avait pris cette résolution toute seule, elle en endossait toute la responsabilité. Dans un premier temps, Sœur Faustine fut contente à l’idée de quitter la Congrégation, mais, le lendemain, elle sombra dans de telles obscurités, abandonnée par la présence de Dieu, qu’elle résolut d’attendre une nouvelle rencontre avec son confesseur avant de réaliser sa décision.
La Mère Générale s’opposait au début à ce que Soeur Faustine quittât la Congrégation ; elle essayait de l’en dissuader lui disant qu’elle se faisait des illusions et agissait trop précipitamment. Mais au cours de sa visite canonique au couvent des Soeurs de Cracovie, le 4 mai 1937 elle déclara ouvertement à Soeur Faustine : Jusqu’ a présent, je vous ai toujours retenue, mais, maintenant, je vous laisse décider. Si vous voulez, vous pouvez quitter la Congrégation ; si vous voulez, vous pouvez rester (P. J. 1115). Soeur Faustine décida de partir et d’écrire immédiatement au Saint Père pour lui demander de la licencier des vœux. Mais elle fut de nouveau envahie d’une telle obscurité d’âme qu’elle revint tout de suite à la Mère Générale et lui dit son tourment et sa lutte intérieure.
Ce fut sa dernière tentative de quitter la Congrégation, mais la lutte spirituelle continua de plus belle. Elle écrivit dans son Petit Journal : Personne ne peut comprendre ni concevoir mes tourments, et moi-même, je ne suis pas capable de les décrire, mais il n’ existe pas de plus grande souffrance. Les souffrances des martyrs ne sont pas pires, puisque, dans ces moments-là, la mort serait un soulagement pour moi. Il n’ y a rien à quoi je puisse comparer ces souffrances, cette interminable agonie de l’âme (P. J. 1116). Son âme se purifiait au feu de la lutte intérieure. L’esprit, la volonté, la mémoire, ainsi que les sentiments et tous les sens se soumettaient peu à peu à Dieu dans une harmonie de plus en plus parfaite en préparant son âme à la pleine union avec Lui. Dieu n’envoie jamais d’épreuves au-dessus des forces, disait Sœur Faustine, et si les souffrances sont grandes, la grâce divine ne l’est pas moins. Dans les ténèbres des nuits obscures, Dieu lui donnait des moments de répit et de grande joie. Elle décrivit l’un de ces instants : … j’ ai soudain vu Jésus. Il m’ a dit ces paroles : « Maintenant, je sais que tu ne m’ aimes ni pour mes grâces, ni pour mes dons, mais que ma volonté t’ est plus chère que la vie. C’ est pourquoi je m’ unis à toi plus étroitement qu’ à aucune autre créature. A cet instant, Jésus a disparu. La présence de Dieu a inondé mon âme. Je sais que je suis sous le regard de ce puissant Souverain. Je me suis plongée tout entière dans la joie qui provient de Dieu, j’ ai vécu toute la journée dans cette immersion ininterrompue en Dieu (P. J. 707-708).
En juin 1937 elle décrivit dans son Petit Journal le projet définitif de cette œuvre : une, à trois composantes. La première devait être constituée par des âmes séparées du monde qui se consumeraient en offrande devant la majesté de Dieu et imploreraient sa miséricorde pour le monde en le préparant à la Parousie (la venue ultime du Christ). La deuxième était constituée par des congrégations apostoliques qui uniraient la prière aux actes de miséricorde et qui, dans le monde livré à l’égoïsme, rendraient présent l’amour miséricordieux de Dieu. A la troisième pourraient adhérer toutes les personnes vivant dans le monde qui accompliraient les missions de cette œuvre par l’amour de Jésus, apportant un témoignage quotidien de la miséricorde par l’action, la parole et la prière.
La réalisation de cette oeuvre valut à Sœur Faustine les plus grandes souffrances, mais la conduisit aussi à la pleine union avec Jésus, aux fiançailles et aux épousailles mystiques. Les facultés de son âme, purifiées par les nuits passives, ne faisaient plus l’obstacle à l’action de Dieu en elle : l’esprit et la volonté ne désiraient que Dieu et ce qu’Il souhaitait. Le Seigneur la conduisait dans l’univers de l’union intime avec Lui. Il la préparait à recevoir la grâce des fiançailles mystiques. Au même instant, j’ ai été pénétrée de la lumiere divine ; j’ ai senti que j’ étais la propriété exclusive de Dieu et j’ ai ressenti la suprême liberté d’ esprit, dont je n’ avais pas eu la moindre idée auparavant (P. J. 1681). Désormais, seul le voile très fin de la foi la séparait de l’union totale avec Dieu dont jouissent les saints dans le Royaume des Cieux.
9. « Je t’envoie vers toute l’humanité »
Au couvent de Cracovie prend fin la communication à Sœur Faustine de la mission prophétique. En octobre 1937, Jésus enseigna à Sœur Faustine une nouvelle forme de la Dévotion à la Miséricorde divine. Il lui ordonna de célébrer l’instant de sa mort sur la croix : A trois heures, implore ma miséricorde, particulièrement pour les pécheurs, et plonge-toi, même un court instant, dans ma Passion, en particulier dans mon abandon au moment de mon agonie. C’ est une heure de grande miséricorde pour le monde entier (P. J. 1320). Lors de la révélation suivante, Jésus lui indiqua les façons de pratiquer cette forme de la Dévotion. Il dit à Sœur Faustine : Tâche, ma fille, de faire à cette heure-là le chemin de croix, dans la mesure où tes tâches te le permettent. Si tu ne peux pas faire le chemin de croix, entre au moins un moment dans la chapelle et vénère mon coeur plein de miséricorde, qui demeure dans le Très Saint Sacrement; et, si tu ne peux pas entrer dans la chapelle, plonge-toi dans la prière, là où tu te trouves, ne serait-ce qu’ un tout petit instant (P. J. 1572). C’est à une prière confiante adressée à Jésus à trois heures de l’après-midi par les mérites de sa Passion qu’est attachée la promesse de toutes les grâces que l’on peut implorer pour soi et pour les autres, à condition évidemment que nos prières soient conformes à la volonté divine, dans la perspective de l’éternité. A cette heure-là, tu peux tout obtenir pour toi et pour les autres. A cette heure-là, la grâce a été donnée au monde entier : la miséricorde l’ a emporté sur la justice – promit Jésus à Sœur Faustine (P. J. 1572).
A Cracovie, Sœur Faustine continuait à écrire son Petit Journal, dans lequel elle notait non seulement les paroles de Jésus ou ses expériences mystiques extraordinaires, mais également des énoncés pleins de sagesse sur le mystère de la Miséricorde de Dieu. Sa maladie, ses deux hospitalisations à Prądnik qui durèrent plus de huit mois en tout, furent un temps propice pour écrire. C’est donc à Cracovie que sont nées la plupart de ses écrits spirituels. A la même époque et sur l’ordre de son directeur spirituel de Wilno, l’abbé Sopoćko, Sœur Faustine souligna les paroles de Jésus dans l’ensemble de son Petit Journal.
Tout au long de ce journal apparaît, tel un refrain, la demande de Jésus de proclamer sa miséricorde au monde. Sœur Faustine entendait à maintes reprises cette exhortation pressante : Parle au monde entier de ma miséricorde, de mon amour. Les flammes de ma miséricorde me brûlent, je désire les répandre sur les âmes des hommes. Ah ! quelle douleur elles me causent, lorsqu’ elles ne veulent pas les recevoir ! Ma fille, fais ce qui est en ton pouvoir pour propager la vénération de ma miséricorde. Moi, je suppléerai à ce qui te manque. Dis à l’ humanité souffrante de se blottir contre mon coeur miséricordieux et je la remplirai de paix. Proclame, ma fille, que je suis l’ amour et la miséricorde même (P. J. 1074).
Cette œuvre d’annoncer la Miséricorde est d’une importance toute particulière, puisque Jésus y attache de grandes promesses. Il dit à sainte Soeur Faustine : Les âmes qui propagent la vénération de ma miséricorde, je les protège durant toute leur vie, comme une tendre mère son nourrisson, et, à l’ heure de la mort, je ne serai pas pour elles un Juge, mais le Sauveur miséricordieux (P. J. 1075). Il promet une grâce toute spéciale aux prêtres qui prêcheront la vérité de l’Amour miséricordieux de Dieu pour l’homme : Il oindra leurs paroles et leur donnera une force si grande que même les pécheurs endurcis se repentiront.
Sœur Faustine accomplissait la mission non seulement par le témoignage de sa propre vie et par l’écriture du Petit Journal dans lequel elle révélait l’extraordinaire richesse de l’amour miséricordieux de Dieu pour chaque homme, mais également dans ses relations quotidiennes avec les autres. Sa consoeur, Eufemia Traczyńska raconte : Un jour, quand nous étions à la boulangerie et que nous épluchions des pommes, Sœur Faustine nous a rejointes. Nous étions assises sur un banc, côte à côte, Sœur Faustine s’est approchée par derrière, elle a posé ses bras sur nos épaules et a mis sa tête entre les nôtres. Sœur Amelia, qui avait une conscience très sensible, lui a demandé alors : – Sœur, qu’en dites-vous, on fait tant d’efforts et pourtant on a péché dans la semaine ; comment en arriver à bout ? – Voyons, mes Soeurs – dit Sœur Faustine – quand on piétine une basse-cour pendant toute une semaine, elle finit par s’embourber. Une fois le samedi venu, on nettoie, on balaie et tout est propret. C’est pareil pour nous, nous irons nous confesser, nous nous confesserons, alors nos âmes seront proprettes et nous n’aurons plus à nous en préoccuper. Le Seigneur Jésus arrangera tout. Dans la vie quotidienne Sœur Faustine savait interpréter diverses difficultés suivant l’esprit de la foi vive et voir en tout la bonté de Dieu. Elle parlait souvent aux sœurs et aux élèves de l’amour de Dieu pour les hommes et de la grande valeur du bien témoigné aux autres. Passant un jour près de la chapelle, elle dit à Sœur Damiana Ziółek: J’ai entendu dire que le Seigneur Jésus avait promis qu’au Jugement dernier il ne jugerait le monde que par miséricorde, car Dieu est tout entier Miséricorde, et si quelqu’un fait peu de cas de la miséricorde ou qu’il la néglige, celui-ci reporte par là le jugement sur soi-même.
Jésus dit que le message de l’Amour miséricordieux de Dieu pour l’homme est la dernière planche de salut pour un grand nombre d’âmes qui périssent malgré Sa douloureuse Passion. C’est aussi la voie vers la paix dans les cœurs des hommes et entre les nations. Jésus dit : L’humanité ne trouvera pas la paix tant qu’elle ne se tournera pas avec confiance vers ma miséricorde (P. J. 300). Cette Dévotion à la Miséricorde divine et à sainte Soeur Faustine doit préparer le monde à la Parousie du Christ. Personne ne peut nier que Dieu est infiniment miséricordieux, nota Soeur Faustine dans son Petit Journal ; il veut que tout le monde le sache. Avant de revenir comme Juge, il veut que les âmes le connaissent comme Roi de miséricorde (P. J. 378).
La Très Sainte Vierge Marie qui apparaissait souvent à sainte Soeur Faustine lui rappelait sa fonction prohétique. Sœur Faustine nota : Ce matin, pendant la méditation, j’ ai été envahie d’ une manière particulière par la présence de Dieu, en voyant son infinie grandeur et en même temps son abaissement jusqu’ à ses créatures. Soudain, j’ ai vu la Mère de Dieu. Elle m’ a dit : « Ah ! qu’ elle est agréable à Dieu, l’ âme qui suit fidelèment l’ inspiration de sa grâce ! Moi, j’ ai donné au monde le Sauveur, et toi, tu dois parler au monde de son immense
miséricorde et préparer le monde à sa seconde venue. Il viendra non comme Sauveur miséricordieux, mais comme Juge équitable. Oh ! Ce jour sera terrible ! Le jour de la justice, le jour de la colère divine a été décidé ; il fait trembler les anges. Parle aux âmes de cette immense miséricorde tant que dure le temps de la pitié. Si tu te tais maintenant, tu devras, en ce jour terrible, répondre d’ un grand nombre d’ âmes. Ne crains rien, sois fidèle jusqu’ à la fin, j’ ai compassion de toi (P. J. 635).
Le mystère de la Miséricorde divine se trouva ainsi au cœur même de la vie et de la mission apostolique de Sœur Faustine. Selon les paroles de Jésus et de sa Mère Marie, elle devait non seulement vivre elle-même cette mission, la graver dans son cœur et dans ses actes, mais aussi la faire connaître à l’humanité entière. Cette tâche semblait dépasser ses possibilités. Elle vivait dans un couvent, elle n’était qu’une petite sœur vaquant à des obligations prosaïques, elle n’avait ni relations étendues ni possibilités de diffuser ce message à travers le monde. Cependant c’est à elle que Jésus adressa ces paroles surprenantes : Dans l’ Ancien Testament, j’ ai envoyé à mon peuple des prophètes et, avec eux, la foudre. Aujourd’ hui, je t’ envoie vers l’ humanité tout entière avec ma miséricorde. Je ne veux pas punir l’ humanité endolorie, mais je désire la guérir en l’ étreignant sur mon coeur miséricordieux. Je ne recours aux châtiments que lorsque les hommes m’ y obligent eux-mêmes. Ma main ne saisit pas volontiers le glaive de la justice ; avant le jour de la justice, j’ envoie le jour de la miséricorde (P. J. 1588). Soeur Faustine crut fermement en ces paroles, tout en ignorant comment cela pourrait advenir. Elle savait que la chapelle conventuelle de Cracovie deviendrait un jour le lieu du culte de la Miséricorde Divine. Elle le prédit à sa consoeur, Bożenna Pniewska, qui déplorait que la chapelle de Łagiewniki ne fût accessible qu’aux sœurs et à leurs pupilles : Bientôt le moment viendra où cette porte sera ouverte aux gens qui viendront prier ici la Miséricorde Divine.
10. Vers la maison du Père Miséricordieux
D
Diagnostiquée tardivement, à Wilno, la tuberculose ravageait l’organisme de Sœur Faustine. Elle détruisait non seulement ses voies respiratoires, mais aussi son système digestif. Ses Supérieures l’envoyèrent donc faire une cure aux Etablissements Sanitaires Municipaux de Cracovie-Prądnik. Elle y fit un premier séjour en décembre 1936, qui dura environ quatre mois ; à Noël elle rentra au couvent. Trois jours après son arrivée à l’hôpital, elle put éprouver déjà l’efficacité du Chapelet à la Miséricorde Divine que Jésus lui avait dicté : elle fut réveillée la nuit et sentit qu’une âme lui demandait une prière. Le lendemain, lorsqu’elle entra dans la salle des malades, elle vit une personne agonisante et apprit que l’agonie avait commencé la nuit, précisément à l’heure où elle fut réveillée. Elle entendit la voix de Jésus dans son âme : Dis le chapelet que je t’ ai appris (P. J. 810). Elle courut chercher son chapelet, s’agenouilla près de la malade et se mit à réciter la prière, suppliant Jésus d’accomplir la promesse qu’il attachait à ce chapelet. Soudain, l’agonisante ouvrit les yeux, regarda Sœur Faustine et mourut dans une paix étonnante. Jésus dit alors : A l’ heure de la mort, je défendrai comme ma propre gloire chaque âme qui récitera elle-même ce chapelet. Si d’ autres personnes le récitent auprès d’un agonisant, elles obtiendront le même pardon. Quand on récite ce chapelet auprès d’ un agonisant, la colère divine s’ apaise, l’ insondable miséricorde s’ empare de son âme, et les entrailles de ma miséricorde sont émues par la douloureuse Passion de mon Fils (P. J. 811).
Ainsi commença le service hospitalier de Sœur Faustine auprès des mourants. Bien que grande malade et incapable elle-même d’assister régulièrement à la Sainte Messe, elle voyait toujours ceux qui avaient besoin de son secours. Mais lorsque, en raison de son mauvais état, la Supérieure lui interdit de rendre visite aux agonisants, elle offrit ses prières et ses actes d’obéissance à leur intention, car Jésus lui avait enseigné que ceux-ci avaient pour Lui plus de valeur que de grandes actions entreprises sans permission. Pendant cette période, elle venait au secours des personnes qui mouraient au sanatorium. Grâce à un don de bilocation, elle aidait aussi ceux qui se mouraient au loin, en dehors de sa portée physique, même dans le deuxième ou le troisième pavillon de l’hôpital, ou bien loin encore, en dehors de la ville : ses proches, ses consoeurs d’autres couvents. Pour l’esprit point d’espace, Dieu la biloquait ainsi.
Durant son séjour à l’hôpital elle continuait à recevoir des grâces mystiques. Lorsqu’elle souffrait de n’avoir pu se confesser depuis trois semaines…. Cet après-midi, le père Andrasz est venu dans ma chambre – écrivit-elle dans son Petit Journal – et s’ est assis pour me confesser. Il n’ a pas dit un mot avant le début de la confession. J’ étais remplie de joie, parce que je désirais beaucoup me confesser. J’ ai dévoilé toute mon âme, comme toujours. Le père a répondu à la moindre de mes questions. Je me sentais extrêmement heureuse d’ avoir pu tout dire. Il m’ a donné comme pénitence Les Litanies du Saint Nom de Jésus. Au moment où je voulais dire au père que j’ ai certaines difficultés a réciter ces litanies, il s’ est levé pour me donner l’ absolution. Soudain, une grande clarté a commencé à rayonner de sa personne, et j’ ai vu que ce n’ était pas le père Andrasz, mais Jésus lui-même. Ses vêtements étaient éclatants comme la neige, et il a immédiatement disparu. Au début, j’ ai été un peu troublée, mais au bout d’ un moment, une sorte de paix est entrée dans mon âme. J’ ai constaté que Jésus confesse de la même manière que mes confesseurs, et pourtant, au cours de cette confession, quelque chose d’ étrange pénétrait mon coeur (P. J. 817).
Ses très grandes souffrances physiques et spirituelles étaient accompagnées de grandes grâces que Sœur Faustine dissimulait soigneusement aux autres et dont elle ne parlait qu’à ses confesseurs. Il arrivait cependant que quelqu’un en fût témoin. Un jour, j’arrive à (l’hôpital de) Prądnik pour lui rendre visite, raconte Sœur Kajetana Bartkowiak, et je frappe à la porte. Elle répondait toujours « Entrez ! », mais cette fois-ci je frappe et je frappe et personne ne me dit d’entrer. Je pense qu’elle est là, puisqu’elle est malade et alitée, donc j’ai ouvert la porte et je suis entrée. Je l’ai vue alors sur le lit, le regard fixé au loin, comme si elle voyait quelque chose, elle était tout à fait différente, changée. Je me suis arrêtée devant la table de nuit sur laquelle il y avait un petit autel et j’ai été prise d’une grande peur, mais elle a repris ses esprits me disant : « Tiens, vous êtes venue, ma Sœur ! Très bien, prenez place, s’il vous plaît ! » Informée de cet événement, la Mère Supérieure Irena Krzyżanowska interdit à Soeur Kajetana d’en parler et le secret de la vie spirituelle extraordinaire de Sœur Faustine fut ainsi protégé.
La première phase du traitement prit fin en mars 1937. Un peu remise, Sœur Faustine regagna le couvent de Łagiewniki. Mais, dès le mois d’avril, son état de santé s’aggrava. En juillet, ses Supérieures l’envoyèrent dans une maison de la Congrégation à Rabka Zdrój, ville de cure, mais le climat rude de montagne n’était pas favorable à Sœur Faustine. Elle s’y sentait mal et fut ramenée au bout de treize jours. Elle en emportait l’assurance de saint Joseph qu’il était très favorable à l’œuvre de la Miséricorde demandée par le Seigneur. Il lui promit son aide particulière et lui demanda de réciter chaque jour trois prières et un « Souvenez-vous ». Sœur Faustine savait désormais qu’elle était soutenue dans l’accomplissement de sa mission non seulement par la Très Sainte Mère de Dieu, mais aussi par saint Joseph. Elle jouissait aussi du secours d’autres saints et des anges, dont elle éprouva à maintes reprises la présence et l’aide, et ceci de manière presque tangible.
Revenue de Rabka à Cracovie, en raison de son mauvais état de santé, Sœur Faustine se vit confier la porterie du couvent, tâche moins pénible que du jardinage. Ce devoir lui procurait de nombreuses occasions de témoigner de la miséricorde à diverses personnes qui venaient demander l’aide. C’étaient des chômeurs, des enfants affamés, des mendiants… Elle cherchait à voir Jésus dans chacun et témoignait du bien à tous, par amour de Jésus. Un jour Jésus s’ est présenté aujourd’ hui à la porte du couvent sous l’ aspect d’ un jeune homme pauvre. Un jeune homme hâve, vêtu d’ habits en lambeaux, pieds nus et tête nue, gelé, car la journée était froide et pluvieuse. Il a demandé quelque chose de chaud à manger. Je suis allée dans la cuisine, mais il n’ y avait rien pour les pauvres. J’ ai fini par trouver un peu de soupe que j’ ai fait réchauffer et dans laquelle j’ ai émietté un peu de pain, puis j’ ai servi le pauvre qui l’ a mangée. Au moment où je lui reprenais le bol, il m’ a fait comprendre qu’ il était le Maître du ciel et de la terre. Dès que j’ ai vu qui il était, il a disparu de ma vue. Quand je suis rentrée dans le couvent et alors que je réfléchissais à ce qui s’ était passé à la porte, j’ ai entendu dans mon âme ces paroles : « Ma fille, les bénédictions des pauvres qui me bénissent quand ils s’ éloignent de la porte du couvent sont parvenues à mes oreilles, et ta miséricorde, qui s’ exerce dans les limites de l’ obéissance, m’ a plu. C’ est pourquoi je suis descendu de mon trône, afin de goûter le fruit de ta miséricorde » (P. J. 1312).
Les premiers mois de 1938 apportèrent une nouvelle aggravation de l’état de santé de Sœur Faustine, aussi ses Supérieures décidèrent de l’envoyer après Pâques de nouveau à l’hôpital de Prądnik. Les Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus qui travaillaient à l’hôpital lui préparèrent une chambre séparée. Le soir, l’une d’elles dit à Sœur Faustine qu’elle n’aurait pas la Sainte Communion le lendemain, car elle était trop fatiguée. Elle nota dans son Petit Journal : Le lendemain matin, j’ ai fait ma méditation et me suis préparée à la sainte Communion, tout en sachant que je ne devais pas recevoir Jésus. Cependant, lorsque mon désir et mon amour eurent atteint leur point culminant, j’ ai vu soudain qu’ un Séraphin se tenait près de mon lit. Il m’ a donné la sainte Communion en disant : « Voici le Seigneur des anges. » Après que j’ eus reçu le Seigneur, mon esprit s’ est plongé dans l’ amour de Dieu et dans la stupeur. Cela s’ est répété pendant treize jours, mais je n’ avais jamais la certitude que cela se reproduirait le lendemain. Je m’ en remettais à Dieu, confiante en sa bonté (P. J. 1676).
Presque jusqu’à la fin du mois de juin 1938 elle continua à écrire son Petit Journal. Elle y notait les paroles de Jésus, des prières, des méditations et des événements majeurs, parmi lesquels la dernière retraite de trois jours qu’elle fit de son vivant et qui lui fut donnée par Jésus en personne, avant la solennité de la Descente du Saint Esprit. Chaque jour, Jésus lui proposait des sujets à méditation et lui faisait des conférences : sur la lutte spirituelle, le sacrifice et la prière et sur la miséricorde. Sœur Faustine devait méditer sur son divin amour pour elle et sur l’amour d’autrui. Sous sa direction, son esprit pénétrait sans difficulté tous les mystères de la foi et son cœur s’enflammait du feu vivant d’amour. A la Pentecôte, elle renouvela ses vœux religieux. Son âme s’unissait à l’Esprit Saint dont le souffle l’emplissait d’un plaisir indicible ; son cœur baignait dans la gratitude pour d’immenses grâces.
Comme bien d’autres personnes, les sœurs qui lui rendaient visite à l’hôpital percevaient cette joie radieuse. Sœur Serafina Kukulska raconte : Je suis souvent allée la voir et je l’ai toujours trouvée sereine, joyeuse même, voire parfois radieuse, mais jamais elle n’a soulevé un coin du voile quant à son bonheur. Elle se sentait très heureuse à Prądnik et ne s’est jamais plainte de souffrir. Le médecin, les sœurs, les malades, tous étaient très bons pour elle. Sœur Felicja Żakowiecka passait voir Sœur Faustine deux fois par semaine. A l’occasion de ces visites, elle questionna le docteur Adam Sielberg au sujet de sa santé. Le médecin lui dit que l’état de la patiente empirait. Sœur Felicja de répondre : Docteur, et vous lui permettez d’aller à la sainte Messe ? Le docteur Sielberg répondit : Tout va très mal et l’état est incurable, mais Sœur Faustine est une religieuse extraordinaire, donc je n’y fais pas attention. D’autres ne quitteraient pas le lit à sa place. Je l’ai vue aller à la chapelle en s’accrochant aux murs.
L’était de santé de Sœur Faustine s’aggravait constamment et le terme de sa vie terrestre approchait. Consciente, elle fit ses adieux à la communauté religieuse. En août 1938, elle écrivit à la Mère Générale Michaela Moraczewska une lettre d’adieux : Ma Mère chérie, il me semble que c’est notre dernier entretien sur cette terre. Je me sens très faible et j’écris d’une main tremblante. Je souffre autant que je suis capable de le supporter. Jésus n’envoie rien au-dessus des forces. Si les souffrances sont grandes, la grâce divine est immense aussi. Je suis entièrement dévouée à Dieu et à sa sainte volonté. Une nostalgie de plus en plus grande de Dieu m’envahit. La mort ne m’effraye pas, mon âme est remplie d’une paix immense. Elle la remerciait pour tout le bien dont elle avait été l’objet de sa part et de la Congrégation, lui demandait pardon pour tous les manquements à la Règle et à l’amour de ses Sœurs ; Soeur Faustine demandait à la Supérieure Générale d’intercéder pour elle auprés de Dieu et de lui donner sa bénédiction pour l’heure de la mort. La lettre se termine ainsi : Au revoir, ma Mère chérie, nous nous reverrons dans le ciel au pied du trône de Dieu. Que maintenant, le Miséricorde Divine soit glorifiée en nous et par nous.
C’est également à l’hôpital de Prądnik qu’elle s’entretint pour la dernière fois avec l’abbé Michał Sopoćko, son directeur spirituel de Wilno, qui vint à Cracovie dans la première moitié du mois de septembre 1938. Il eut ainsi l’opportunité de rendre visite à son extraordinaire pénitente, et d’entendre de sa propre bouche des consignes finales concernant l’oeuvre de Miséricorde que Jésus commença par elle. Sœur Faustine lui dit qu’il devait principalement faire des efforts pour avancer dans l’Eglise l’institution de la fête de la Miséricorde Divine ; ensuite, ne plus se préoccuper de la nouvelle Congrégation, car il saurait, d’après certains signes, ce qu’il devait faire en la matière. Elle lui dit qu’elle allait mourir et que tout ce qu’elle avait à transmettre et à écrire fut déjà accompli. Pendant la dernière rencontre à Prądnik, son directeur spirituel de Wilno fut témoin d’une extase : après l’avoir saluée, il sortit de sa chambre, mais se rappela en route qu’il ne lui avait pas laissé de brochures avec les prières à la Miséricorde, dictées par Jésus à sa pénitente. Or, il rentra, ouvrit la porte de sa chambre et vit Sœur Faustine redressée sur son lit, toute plongée dans la prière. Il raconte : Son regard fixait un objet invisible, les pupilles légèrement dilatées ; pour l’instant, elle ne fit pas attention à ma présence et moi, je ne voulais pas la gêner et j’avais l’intention de reculer, mais bientôt, elle reprit ses sens et s’excusa de ne pas avoir entendu que je frappais à la porte, ni remarqué que j’étais entré. Je lui ai remis les prières et j’ai dit au revoir, elle a répondu : « Au revoir dans le ciel ». Plus tard, quand je suis passé la voir la dernière fois, à Łagiewniki le 26 septembre, elle n’a pas voulu me parler ou bien elle ne l’a pas pu, me disant : « Je suis occupée par l’intimité avec le Père céleste ». En réalité, elle donnait l’impression d’un être extraterrestre. Je n’avais plus le moindre doute que ce qui est dit dans son Petit Journal sur la sainte Communion donnée à l’hôpital par un ange répond à la réalité.
Rentrée de l’hôpital le 17 septembre 1938, Sœur Faustine attendait dans une infirmerie du couvent, l’heureux passage de ce monde à la maison du Père. Les sœurs se relayaient à son chevet. Sa Supérieure, Mère Irena Krzyżanowska, lui rendait souvent visite ; elle la trouvait sereine, émanant un charme étrange, sans la moindre impatience quant à la réalisation de l’œuvre de la Miséricorde imposée par le Seigneur, qui la perturbait jadis. La Fête de la Miséricorde Divine sera instituée, je le vois, je ne veux que la volonté de Dieu, dit-elle à la Mère Supérieure. Interrogée pour savoir si elle était contente de mourir dans cette Congrégation, elle répondit : Oui. Vous verrez, ma Mère, que la Congrégation aura beaucoup de consolations grâce à moi. Peu avant de mourir, elle se redressa sur son lit et demanda à la Mère Supérieure de s’approcher. Elle lui dit à voix basse : Le Seigneur Jésus veut m’élever et me faire sainte. – J’ai senti en elle beaucoup de gravité, une impression étrange que Sœur Faustine recevait cette assurance comme un don de la miséricorde divine, sans une ombre d’orgueil, conclue Mère Irena.
Le 5 octobre 1938 dans l’après-midi, le père Andrasz sj vint au couvent de Cracovie-Łagiewniki pour lui donner une dernière fois l’absolution et le sacrement des malades. Ce jour-là, à l’heure du dîner, une sonnette retentit. Les sœurs réunies au réfectoire se levèrent et montèrent à l’étage dans la chambre isolée de Sœur Faustine. L’aumônier du couvent, l’abbé Teodor Czaputa et Mère Supérieure Irena Krzyżanowska, se tenaient près de son lit, les autres sœurs de la communauté restaient dans le couloir à réciter les prières des agonisants, après lesquelles Sœur Faustine dit à la Mère Supérieure qu’elle n’allait pas encore mourir. Les sœurs s’en allèrent donc assister à la prière du soir. Parmi elles se trouvait la jeune professe Eufemia Traczyńska, qui avait entendu dire de sa consoeur, Amelia Socha, que si quelqu’un devait être canonisé, ce serait sans doute Sœur Faustine Elle voulait voir comment mouraient les saints, mais elle ne pouvait pas espérer que la Mère Supérieure l’autoriserait à veiller au chevet d’une sœur malade de la tuberculose. Elle implora donc les âmes du Purgatoire de la réveiller quand le moment de l’agonie serait arrivé. Je me suis couchée à l’heure ordinaire, raconte Sœur Eufemia, et je me suis endormie aussitôt. Tout à coup, on me réveille : « Si vous voulez, ma Sœur, assister à la mort de Sœur Faustine, levez-vous ». J’ai tout de suite compris que c’était une erreur. La sœur, qui devait réveiller Sœur Amelia, s’était trompée de cellule et elle est venue chez moi. J’ai tout de suite réveillé Sœur Amelia, j’ai mis ma tunique et ma coiffe et j’ai vite couru à l’infirmerie. Sœur Amelia est venue après. C’était vers onze heures du soir. Quand nous y sommes arrivées, Sœur Faustine a légèrement soulevé les paupières, et elle a eu un petit sourire, puis elle a incliné la tête et c’était tout… Sœur Amelia dit alors qu’elle ne vivait plus, qu’elle devait être morte. J’ai regardé Sœur Amelia, mais je n’ai rien dit, nous avons continué de prier. Le cierge béni flambait tout le temps. Sainte Soeur Faustine est décédée le 5 octobre 1938.
Ses obsèques eurent lieu le 7 octobre, en la fête de Notre-Dame du Rosaire. Les sœurs et les élèves, et même les ouvriers de la métairie, parmi lesquels Janek dont ont disait qu’il n’était pas pratiquant, allèrent prier dans la crypte où reposait le cercueil. Janek se tenait debout à côté du cercueil de Sœur Faustine et pleurait, tellement l’impression qu’elle avait faite sur lui était forte. On rapporte qu’il se convertit ensuite, de même que Jadzia, l’aveugle, l’une des anciennes élèves des Soeurs qui disait que la mort de Soeur Faustine secoua sa vie. Après la Messe d’enterrement présidée par le Père Władysław Wojtoń sj assisté par deux autres prêtres, les sœurs portèrent sur leurs propres épaules le cercueil avec la dépouille de Sœur Faustine au cimetière du couvent de Cracovie-Łagiewniki, situé au fond du jardin.
Sœur Faustine atteignit la plénitude de l’union avec Dieu. A nous autres vivants, elle a laissé une promesse : Je ne t’ oublierai pas, pauvre terre, bien que je sente que je serai immédiatement plongée en Dieu comme dans un océan de félicité. Mais cela ne m’ empêchera pas de revenir sur terre pour donner du courage aux âmes et les inciter à avoir la confiance en la miséricorde divine. Bien au contraire, cette immersion en Dieu me donnera une possibilité d’ agir illimitée (P. J. 1582).
11. « Ma mission ne finira pas à ma mort »
La mission prophétique de Sœur Faustine demeura absolument secrète de son vivant. Seuls l’abbé Michał Sopoćko, le Père Józef Andrasz sj et quelques soeurs Supérieures étaient au courant. Après la mort de Sœur Faustine, au moment de la Seconde Guerre mondiale, son confesseur de Wilno révéla l’identité de Soeur Faustine en tant qu’apôtre du culte de la Miséricorde Divine, qui se propageait rapidement. A sa suite, Mère Michaela Moraczewska, Supérieure Générale des Sœurs de Notre-Dame de la Miséricorde, fit de même au sein de la Congrégation. En tournée dans les différentes maisons de la Congrégation, elle parlait de la mission pour laquelle Dieu avait choisi Sœur Faustine. Elle écrivit après la mort de Soeur Faustine dans ses mémoires : Ce qui m’a frappée chez Sœur Faustine et qui me frappe encore aujourd’hui, à distance, en tant que manifestation extraordinaire, particulièrement les derniers mois de sa maladie, c’était sa complète abnégation d’elle-même au profit de la vénération de la Miséricorde Divine qu’elle propageait. Elle n’a pas montré la moindre hésitation quant à l’authenticité de sa mission ni la moindre peur de la mort, elle était toute pénétrée de l’idée conductrice de sa vie : le culte de la Miséricorde Divine.
Les années cruelles de la Guerre favorisaient la diffusion du culte de la Miséricorde Divine ; il apportait aux personnes éprouvées un rayon de lumière et d’espoir. A mesure que ce culte se propageait, la gloire de la sainteté de Sœur Faustine augmentait aussi. Des pèlerins commencèrent à affluer sur sa tombe à Cracovie-Łagiewniki, pour demander par son entremise les grâces qu’ils désiraient. Le Père Andrasz sj consacra le tableau de Jésus Miséricordieux dans la chapelle du couvent des Soeurs à Cracovie-Łagiewniki, peint d’après les visions de Sœur Faustine et il inaugura les célébrations solennelles à la gloire de la Miséricorde Divine auxquelles les habitants de Cracovie et des alentours vinrent en foule. Un jeune ouvrier des Usines Solvay, qui était voisine du couvent, Karol Wojtyła, venait aussi prier sur sa tombe. Il avait déjà à l’époque une certaine connaissance de la Dévotion à la Miséricorde Divine dans les formes transmises par sœur Faustine. Devenu prêtre, il célébra des Messes solennelles à la gloire de la Miséricorde Divine dans la chapelle du couvent des Soeurs de Cracovie- Łagiewniki, chaque troisième dimanche du mois.
En tant qu’évêque de Cracovie, en 1965, Mgr Karol Wojtyła inaugura le procès diocésain de Sœur Faustine en vue de l’élever sur les autels. C’était un acte de grand courage de sa part car, en 1959 une Notification du Siège Apostolique interdit la propagation du culte de la Miséricorde Divine dans les formes transmises par Sœur Faustine. La Notification en question avait été prononcée suite à de mauvaises traductions du Petit Journal et d’une pratique parfois inappropriée de cette Dévotion. A l’époque communiste en Pologne les contacts avec le Siège Apostolique furent entravés et, de ce fait, il n’était pas possible de répondre aux objections que le Vatican formulait à l’endroit des écrits de Sœur Faustine et de la Dévotion. Cette prohibition du culte qui fut d’ailleurs prédite par Sœur Faustine, contribua à l’analyse théologique des écrits de l’Apôtre de la Miséricorde Divine et ainsi à l’élaboration de bonnes fondations pour toute cette Dévotion. Rassuré auprès du Saint Siège que cette situation d’interdiction ne constituait pas un obstacle à l’engagement du procès de Soeur Faustine, l’archévêque Karol Wojtyła l’initia immédiatement en 1965. Après sa clôture deux ans plus tard, on a transmis le dossier à Rome pour examiner le caractère héroïque des vertus de Sœur Faustine. La guérison miraculeuse dont une Américaine, Mme Maureen Digan avait bénéficié sur la tombe de Soeur Faustine à Cracovie, contribua à sa béatification.
En la Fête de la Miséricorde, le 18 avril 1993, le Saint Père Jean-Paul II éleva Sœur Faustine à la gloire des autels. Dans son homélie de béatification, sur la Place Saint-Pierre à Rome, il cita ses propres paroles : Je sens bien que ma mission ne s’ achevera pas à ma mort, mais qu’ elle ne fera que commencer (P. J. 281), et il ajouta : Et il en fut ainsi. La mission de Sœur Faustine continue à apporter des fruits surprenants. De quelle manière étrange sa dévotion à Jésus Miséricordieux ne se fraye-t-elle pas le chemin dans le monde, en conquérant tant de cœurs humains ! C’est sans doute un signe des temps, signe de notre XXe siècle. Le bilan de ce siècle qui touche à sa fin, à côté de succès qui sont souvent supérieurs à ceux des époques précédentes, contient aussi une profonde inquiétude pour ce qui est de l’avenir. Où donc le monde trouvera-t-il le salut et la lumière de l’espoir sinon dans la miséricorde de Dieu ? Ceux qui sont croyants le sentent parfaitement !
Deux années plus tard advint un nouveau miracle par l’entremise de la bienheureuse Faustine : la guérison de l’abbé Ronald Pytel, curé d’une paroisse à Baltimore aux USA, d’une maladie incurable du cœur. Après l’examen positif du miracle par le Siège Apostolique, le Saint Père Jean-Paul II a inscrit la bienheureuse Sœur Faustine au catalogue des Saints. La canonisation eut lieu en la Fête de la Miséricorde, le deuxième dimanche de Pâques, 30 avril 2000, sur la Place Saint-Pierre à Rome, en présence de nombreux évêques, prêtres, religieux et religieuses et d’une foule immense de pèlerins venus du monde entier. Grâce à une retransmission par la télévision polonaise, les religieux et les pèlerins rassemblés au Sanctuaire de la Miséricorde Divine de Cracovie-Łagiewniki pouvaient participer simultanément à cette cérémonie de canonisation. Plusieurs dizaines d’années plus tôt, Sœur Faustine avait, elle-même, décrit prophétiquement cette solennité : Soudain, j’ ai été remplie de la présence de Dieu et je me suis vue à Rome, dans la chapelle du Saint-Père, et, en même temps, dans notre chapelle. La célébration du Saint-Père et de toute l’ Église était étroitement liée à celle de notre chapelle et, en particulier, à notre Congrégation ; j’ ai donc participé a la célébration à la fois à Rome et chez nous (…) La chapelle était magnifiquement décorée, et, ce jour-là, toutes les personnes qui le voulaient pouvaient y entrer. La foule était si nombreuse que je ne pouvais l’ embrasser du regard. Tous participaient à la célébration avec une très grande joie, et beaucoup ont obtenu ce qu’ ils désiraient. La même cérémonie se déroulait à Rome dans un sanctuaire somptueux, et le Saint-Père la célébrait en compagnie de tout le clergé. Soudain, entre l’ autel et le Saint-Père, j’ ai vu saint Pierre. Je n’ ai pas pu entendre ce que disait saint Pierre, mais je sais que le Saint-Père comprenait ses paroles… (P. J. 1044).
Pendant la cérémonie de canonisation qui eut lieu en l’Année Jubilaire 2000, le Saint Père Jean-Paul II institua la Fête de la Miséricorde pour l’Eglise universelle et transmit au monde le message prophétique de la Miséricorde pour le troisième Millénaire. Je le transmets à tous les hommes, dit-il, afin qu’ils apprennent à connaître toujours mieux le véritable visage de Dieu et le véritable visage de leurs frères. Deux ans plus tard, il se rendit pour la deuxième fois en pèlerinage en qualité de Pape au Sanctuaire de Cracovie-Łagiewniki, afin de dédier le monde à la Miséricorde Divine dans la Basilique nouvelle qu’il consacra. Il déclara alors qu’il désirait que le message de l’Amour miséricordieux de Dieu, proclamé ici par sainte Faustyna, atteigne tous les habitants de la terre et remplisse leur cœur d’espérance. Que ce message se diffuse de ce lieu dans toute notre Patrie bien-aimée et dans le monde entier. Que s’accomplisse la promesse solide du Seigneur Jésus : c’est d’ici que doit jaillir « l’étincelle qui préparera le monde à sa venue ultime » (cf. Petit Journal, 173). Il faut allumer cette étincelle de la grâce de Dieu. Il faut transmettre au monde ce feu de la miséricorde. Dans la miséricorde de Dieu le monde trouvera la paix, et l’homme trouvera le bonheur! – conclut le Pape.
Aujourd’hui, le Tableau de Jésus Miséricordieux est vénéré en Pologne et dans le monde entier. La Fête de la Miséricorde se trouve désormais incorporée au Calendrier Liturgique de l’Eglise Universelle. Le Chapelet à la Miséricorde Divine est récité jusque dans les dialectes africains ; l’Heure de la Miséricorde, qui se célèbre tous les jours au moment de l’agonie de Jésus sur la croix, devient de plus en plus connue. Le Mouve- ment Apostolique de la Miséricorde Divine qui est né de l’expérience mystique et du charisme de Sœur Faustine, et qui constitue comme la « congrégation » que Jésus lui demandait de fonder, s’étend à diverses congrégations, associations, confréries, apostolats et à des personnes individuelles qui portent cette mission. Les adhérents du Mouvement propagent dans le monde entier le message de la Miséricorde par le témoignage de leur vie, par les oeuvres, la parole et la prière. La Congrégation des Sœurs de Notre-Dame de la Miséricorde a fait entièrement sienne la mission prophétique de sainte Sœur Faustine en la reconnaissant sa cofondatrice spirituelle, le 25 août 1995. Les théologiens inspirés par sainte Sœur Faustine approfondissent le mystère de la Miséricorde Divine. Les apôtres de la Miséricorde apprennent à l’école de sainte Soeur Faustine l’attitude de confiance en Dieu et de miséricorde envers autrui, l’amour de l’Eucharistie et de l’Eglise ainsi que la véritable Dévotion à Notre-Dame de la Miséricorde. En Pologne et dans le monde entier, de nombreuses églises sont dédiées à la Miséricorde Divine, à Jésus Miséricordieux ou à sainte Sœur Faustine. De nouveaux sanctuaires voués à la Miséricorde Divine se multiplient, où l’on annonce de manière particulière la vérité de l’Amour miséricordieux de Dieu pour chaque homme. En vérité, la mission de Sœur Faustine n’a réellement pas pris fin à sa mort, mais elle continue à apporter des fruits surprenants.
Du livre «Don de Dieu pour notre temps » de soeur Elżbieta Siepak ISMM
Élaboré par s. M. Ancilla Miąsik ISMM