À l’école de la spiritualité de sainte Soeur Faustine le mot confiance désigne une attitude qu’il convient que l’homme ait à l’égard de Dieu. Le mot miséricorde par contre s’applique aux rapports entre les hommes inspirés de l’amour miséricordieux de Dieu. Jésus dit à Soeur Faustine : J’ exige de toi des actes de miséricorde qui doivent découler de ton amour pour moi. Tu dois témoigner de la miséricorde à ton prochain, toujours et partout. Tu ne peux pas te dérober, ni te récuser, ni te justifier (P. J. 742).
Il existe aujourd’hui beaucoup de notions inexactes sur la miséricorde : on l’identifie à l’indulgence, à la pitié ou à l’absence de justice. Il serait plus juste de voir comment sainte Soeur Faustine entendait la miséricorde. D’après notre Sainte la miséricorde humaine est étroitement associée à la miséricorde Divine, elle s’appuie sur la vérité – la Parole de Dieu, nécessite la justice qui est une mesure fondamentale de l’amour, et se traduit par des actes. Soeur Faustine le dit : La miséricorde est la fleur de l’amour (P. J. 651), un acte d’amour (cf. P. J. 651). Sa vie et ses écrits nous font comprendre que la miséricorde humaine doit respecter tout d’abord la dignité de celui qui doit être aidé, pour répondre ensuite à ses besoins du corps comme de l’âme. La dignité de chaque homme est le bien fondamental de l’oeuvre même de sa création par Dieu et de la Rédemption accomplie dans le Christ, elle est une valeur commune à tous les hommes, aussi bien à ceux qui font preuve de miséricorde qu’à ceux qui la reçoivent. Le fait de voir cette grande dignité Divine en tout homme nécessiteux que le Christ a soulignée, était le point de départ pour toute pratique de miséricorde de sainte Soeur Faustine : c’est un trait spécifique de son école de miséricorde qui lui donne un caractère à part, tout personnaliste, et la distingue d’autres modèles d’écoles connues dans l’histoire de l’Eglise.
La miséricorde ainsi vécue, qui a sa source, son modèle et sa motivation en Dieu, centrée sur la dignité de l’homme, devint le style de vie de sainte Soeur Faustine. Il s’agit donc non seulement d’actes de charité occasionnels qu’elle exerçait, mais de l’attitude chrétienne de toute sa vie, dans toutes ses dimensions, mue par l’amour, qu’elle avait vis-à-vis d’autrui. Elle priait ainsi : Je désire me transformer tout entiere en ta miséricorde et etre ton vivant reflet, ô Seigneur ! Que le suprême attribut de Dieu, son insondable miséricorde, passe par mon coeur et mon âme pour aller vers mon prochain (P. J. 163). Une telle transformation de la vie en la miséricorde, voilà qui définit sa manière de vivre et non seulement un trait de son caractère parmi tant d’autres.
La connaissance de plus en plus profonde de l’amour miséricordieux de Dieu ainsi que son expérience, ont mené Soeur Faustine non seulement à l’attitude d’une confiance d’enfant envers Lui, mais elles ont fait naître en elle un désir ardent de faire refléter cet attribut de Dieu dans son propre coeur et dans ses actes. Elle priait ainsi: chacun de tes saints reflète l’ une de tes vertus ; moi, je désire refléter ton coeur compatissant et plein de miséricorde, je veux le glorifier. Que ta miséricorde, ô Jésus, soit imprimée dans mon coeur et dans mon âme comme un sceau, et ce sera là mon emblème dans cette vie et dans l’éternité (P. J. 1242).
La vertu de l’amour et celle de la miséricorde sont définies distinctement dans les dictionnaires et manuels de théologie. En se basant sur l’enseignement de saint Thomas, la théologie catholique définit l’amour comme une vertu qui vise à procurer du bien au prochain, tandis que la miséricorde est une vertu qui cherche à écarter le mal qui lui nuit. Le terme même de „miséricorde”, dit saint Thomas, signifie que notre coeur abrite un amour compatissant à un malheur d’autrui. Ainsi, la différence entre l’amour et la miséricorde repose-t-elle dans leur but respectif: l’amour aspire à amplifier le bien, la miséricorde à remédier au mal. Dans la théologie traditionnelle, la miséricorde est considérée comme l’une des vertus morales. Parmi toutes les vertus qui se réfèrent à nos prochains, dit saint Thomas, la miséricorde est la vertu la plus grande, puisque le fait de supprimer les manques en nos prochains est en soi-même quelque chose de supérieur et de meilleur.
Le Saint Père Jean Paul II jette une lumière nouvelle sur la notion même de miséricorde, dans son encyclique « Dives in misericordia ». Selon sa conception, la miséricorde n’est pas une vertu, mais une attitude qui suppose l’existence de tout un ensemble de qualités morales, parmi lesquelles se met en avant cet amour créatif qui ne se laisse pas vaincre par le mal, mais qui vainc le mal par le bien.
C’est précisément d’une telle conception de la miséricorde qu’il s’agit dans la spiritualité de Soeur Faustine. Elle signifie donc non l’une des vertus, mais une attitude globale dans la vie à l’égard d’autrui, composée de toute une série de qualités morales. Pour définir la miséricorde, Soeur Faustine dit brièvement que l’amour est la fleur et la miséricorde, le fruit (P. J. 949). La miséricorde chez Soeur Faustine est une attitude qui embrasse tous les rapports au prochain, elle doit imprégner, caractériser tout contact avec autrui, tout geste, toute pensée, toute parole. C’est pourquoi Soeur Faustine désirait, avec l’aide de la grâce, se transformer tout entière en miséricorde (P. J. 163) et suppliait dans la prière que ses yeux, ses oreilles, sa langue, ses mains, ses pieds, mais surtout son coeur fussent miséricordieux (P. J. 163).
Dans l’école de Soeur Faustine, miséricorde désigne donc une attitude globale dans la vie à l’égard du prochain, dans laquelle la vertu surnaturelle de l’amour joue le rôle moteur principal. C’est elle, en effet, qui amène à aimer Dieu en l’homme et l’homme en Dieu. Pour cette raison, l’on peut, sur base de miséricorde, attribuer les traits avec lesquels saint Paul définit l’amour. En paraphrasant son hymne à l’amour de la Première épître aux Corinthiens, nous pouvons dire: la miséricorde est patiente, elle est douce, elle n’est pas envieuse, elle ne cherche point son intérêt, elle ne s’enfle point d’orgueil… (1 Co 13, 1-7). Un ardent amour de Dieu, notait Soeur Faustine dans son « Petit Journal » voit constamment autour de lui des occasions de servir par l’ action, la parole et la priere (P. J. 1313). Cet acte incessant de se communiquer au prochain dans la vie de Soeur Faustine portait d’abord sur les besoins spirituels de l’homme, en particulier d’un homme qui s’était égaré dans la vie, qui avait perdu le sens de l’existence, quitté le chemin du salut. C’est l’amour des âmes qui amena Soeur Faustine à faire offrande de sa vie. Elle avait en effet une profonde connaissance des valeurs de l’âme humaine qui est immortelle. Par conséquent elle venait en aide surtout à ceux qui risquaient de perdre le salut.
Il faut noter particulièrement et accentuer le lien étroit qui existe entre le mystère de la miséricorde de Dieu et celui de la miséricorde humaine. Selon Soeur Faustine, l’attitude de miséricorde à l’égard du prochain trouve non seulement sa source, naît et découle du mystère de la miséricorde divine, mais elle y trouve aussi sa cause tant dans une dimension exemplaire que causale.
Le Seigneur Jésus, Miséricorde Incarnée – était pour Soeur Faustine le modèle dans sa pratique de la miséricorde. C’ est de Jésus, qui est la bonté même, que j’ apprends à être bonne, afin de pouvoir être appelée fille du Père céleste (P. J. 669). L’exemple de Jésus dont Ses contemporains disaient qu’Il avait traversé la terre en faisant du bien à tous, et en particulier Sa sollicitude miséricordieuse envers un homme pécheur, à l’âme malade, jusqu’à Son offrande sur la croix, tout cela était aux yeux de Soeur Faustine un modèle inaccessible. Au cours des moments difficiles, lorsqu’elle ignorait comment agir à l’égard des autres, elle se demandait: que ferait Jésus à ma place? Cette manière de prendre le Seigneur Jésus pour modèle est très bien illustrée par la description d’une entrevue de Soeur Faustine avec une personne laïque qui avait abusé de sa bonté. Elle écrivit: Lorsque je l’ ai aperçue, mon sang s’ est d’ abord glacé dans mes veines, car tout ce que j’ ai du souffrir à cause d’ elle s’ est présenté à mes yeux. (…) L’ idée m’ est venue de lui faire savoir la vérité immédiatement et sans appel. Mais, soudain, la miséricorde de Dieu est apparue devant mes yeux et j’ ai résolu de me comporter envers cette personne comme Jésus l’ aurait fait à ma place. J’ ai commencé à lui parler avec douceur et, quand elle a exprimé le désir de me parler seul à seul, je lui ai clairement, mais tres délicatement fait connaître le triste état de son âme. J’ ai vu sa profonde émotion (P. J. 1694).
La miséricorde de Dieu est chez Soeur Faustine le fondement de l’attitude de miséricorde à l’égard des autres non seulement dans sa dimension exemplaire, mais aussi dans la dimension causale. Cela doit être – selon elle – une certaine participation à la miséricorde Divine. Soeur Faustine était consciente que par ses bonnes actions, accomplies par l’amour du Christ, elle participait à communiquer la miséricorde de Dieu au monde, car Il se sert des hommes pour faire état de Sa bonté. Ainsi désirait-elle se transformer tout entière en miséricorde pour devenir un reflet vivant de la miséricorde divine, pour que le plus grand des attributs divins, Son insondable miséricorde pût passer par son coeur et son âme aux autres (cf. P. J. 163). Le Seigneur Jésus, lui-même, lui avait parlé de cette interdépendance entre la miséricorde humaine et la miséricorde Divine. Sache, ma fille, lui disait-Il dans une conference sur la misericorde, que mon coeur est la miséricorde même. (…) Je désire que ton coeur soit la demeure de ma miséricorde. Je désire que cette miséricorde se répande sur le monde entier en passant par ton coeur. Quiconque s’ approche de toi ne doit pas repartir sans la confiance en ma miséricorde, que je désire tant pour les âmes (P. J. 1777).
Mais pour que la miséricorde témoignée au prochain devienne une part dans la miséricorde de Dieu, elle doit être accomplie dans l’esprit de Christ, c’est pourquoi le Seigneur Jésus disait à Soeur Faustine que son coeur devait être le siège de Sa miséricorde et que cette miséricorde-là devait se déverser sur le monde à travers son coeur. Il ne s’agit donc pas d’une bienfaisance naturelle quelconque ou d’une philanthropie motivée de diverses manières, mais de la miséricorde témoignée aux autres par l’amour de Jésus et dans Son esprit. Cela exige un regard sur le prochain avec les yeux de la foi comme sur un être créé à Son image, selon Sa ressemblance (Gn 1, 26) et racheté point par des choses périssables, l’or et l’argent (…), mais par le sang précieux du Christ (cf. 1 P 1, 18), comme sur l’enfant de Dieu appelé à hériter des biens du Royaume des Cieux, à participer à la vie du Dieu Unique en Trois Personnes. C’est à un tel concept et à ce comportement à l’égard du prochain que s’exerçait Soeur Faustine, et plus la relation avec une personne lui devenait pénible, plus elle redoublait d’efforts pour voir en cette personne le Christ l’appelant à faire la miséricorde.
Soeur Faustine voyait aussi des liens étroits entre l’attitude de confiance envers Dieu et l’attitude de miséricorde envers les autres. Elle constatait que le degré de confiance en Dieu était proportionnel à l’efficacité et à l’ardeur de l’aide apportée aux autres. Un seul mot dit par une âme unie à Dieu, écrivit-elle, fait plus de bien aux âmes que les éloquents discours et les sermons d’ une âme imparfaite (P.J. 1595). Elle savait bien que pour témoigner de la miséricorde dans l’esprit de Christ, il faut vivre en union avec Lui; pour Le reconnaître dans les autres et Le servir en eux, il fallait d’abord apprendre à être en union avec Lui dans sa propre âme (P. J. 503). Elle constatait aussi une interdépendance réciproque quand elle disait: J’ ai appris et je sais par expérience que les âmes qui vivent dans l’ amour se distinguent par une grande lumière quant à la connaissance des choses divines (P. J. 1191), ce qui la menait en conséquence à une attitude de confiance plus complète encore.
Ce qui a été dit au sujet de la confiance et de la miséricorde dans l’école de la spiritualité de Soeur Faustine, nous permet de saisir qu’il s’agit là des fondements mêmes de la vie chrétienne. Dans l’attitude de confiance d’enfant en Dieu et de miséricorde envers les autres jusqu’à l’offrande de sa vie, l’existence de Soeur Faustine fut, en effet, une réalisation parfaite du plus grand commandement, celui de l’amour de Dieu et du prochain, donc de l’essence même du christianisme.
soeur M. Elżbieta Siepak ISMM
Élaboré par soeur M. Ancilla Miąsik ISMM à la base du livre «La spiritualité de sainte Faustine», traduction Beata Hrehorowicz, Pierre Téqui éditeur, 2002.